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L’Ouest ne veut qu’une seule chose de la Russie : que la Russie n’existe plus » !

Voici quelques observations intéressantes de l’ambassadeur de la Fédération de Russie à Washington D.C., capitale des États-Unis d’Amérique et “D.C.-la-folle” pour les amis et entre intimes. Anatoly Antonov était interviewé par la chaîne ABC… Voici quelques-unes de ces observations, un peu en vrac et qu’importe, parce qu’au contraire ce qui importe c’est l’atmosphère dont sont imprégnées ces paroles qui importe. (Le texte est repris un peu partout, vous pouvez aller voir ZeroHedge.com comme TheDuran.com.)

« “Il me semble que l’atmosphère à Washington est empoisonnée – c’est une atmosphère toxique… Cela dépend de nous tous de décider si nous sommes en temps de guerre froide ou pas, mais … je ne me souviens pas d’une situation aussi catastrophique de nos relations.”

 “Il existe une incroyable méfiance entre les Etats-Unis et la Russie… On dirait que la Russie est aujourd’hui responsable de tout, même du mauvais temps”. “Il est grand temps que nous arrêtions de nous blâmer les uns les autres, il est grand temps que nous entamions une véritable conversation sur de vrais problèmes.” »

L’expulsion des diplomates US de Russie, en riposte à celle des diplomates russes des USA : « “Vous comprenez, si quelqu’un vous donne une gifle, quelle votre réaction ? Vous la lui rendez, cela va de soi.” En dépit de ces échanges de mesures coercitives, l’ambassadeur russe a dit qu’il était prêt à rencontrer ses collègues US pour avoir des discussions, et il a rappelé que des fonctionnaires US avaient dit la même chose…  “Alors, j’ai proposé à mes collègues du Département d’État et de la défense de nous asseoir ensemble autour d’un verre, à ma résidence d’ambassadeur… Et même, s’ils avaient peur à cause de ce lieu de rencontre, je leur ai dit ‘Peu importe, voyons-nous dans un n’importe quel restaurant pour parler des questions en suspens…’ C’était il y a quatre ou cinq mois et je n’ai eu que cette réponse: le silence.” »

Bien, j’ai fait une adaptation, et non du mot à mot. Mais ce qui est important, pour moi, ce sont les dernières phrases, les derniers mots, et particulièrement “peur” et “silence”. Les deux expressions employées par Antonov comprennent bien “la peur” (« If they are scared, I say that, “Come on, we can meet in a restaurant… », avec cette expression “to be scared” signifiant bien “avoir peur” dans le sens qui va jusqu’à “être paniqué”/pris de panique”) et “le silence” (« And I got [ananswer: silent »).

Qu’on n’aille pas croire qu’il n’y a qu’à l’asile de “D.C.-la-folle” que les choses se passent de cette façon. A Bruxelles, dans les institutions européennes et particulièrement dans les services des Relations Extérieures (le “ministère des affaires étrangères” de Mogherini), une très récente directive, sans doute fin février/début mars, a été diffusée. Elle interdit tout contact avec un diplomate russe sans autorisation ; le fonctionnaire doit demander une autorisation pour contacter telle ou telle personne (de l’ambassade), exposer les motifs de cette rencontre, et l’on statuera sur cette demande ; si elle est acceptée et si elle a lieu, le fonctionnaire européen devra rendre compte de ce qui a été dit aux services de sécurité. Tout cela est en effet contrôlé et orienté, non par la diplomatie et ses représentants, mais par les services de sécurité. Cette directive a causé une très grande préoccupation chez nombre de fonctionnaires dont une partie importante du travail est justement d’avoir des contacts diplomatiques discrets, d’une façon générale avec tous les diplomates en poste, dans ce cas et pour des raisons évidentes, avec les diplomates russes.

Je crois évidemment que les mêmes règles, directives, consignes et paranoïas diverses doivent être activées à Washington, régulant ainsi cette sorte d’auto-terrorisation et donnant à “D.C.-la-folle” une sorte de structuration. Cette bureaucratisation de la démence en cours ressemble à une sorte d’inversion de 1984 : ce n’est pas Big Brother qui a imposé sa loi démente, c’est la démence complètement irrationnelle qui éprouve le besoin de se fabriquer un Big Brother sous la forme des normes policières, comme si elle voulait se fabriquer artificiellement un sens. 

C’est un climat absolument sans précédent et tout à fait extraordinaire. J’ai passé une partie de ma carrière durant la Guerre Froide, disons à partir du début des années 1970, lorsque ma position dans mon journal me permettait de me déplacer dans ces milieux. Il y avait aussi les réceptions, les dîners, etc., où l’on se rencontrait les uns les autres pour parler discrètement. Moi-même, journaliste, je me mets un peu dans le même cas parce qu’il s’agit de la même sorte de travail. Il s’agit de pouvoir parler plus librement, hors du ton compassé des communiqués et des discours officiels, pour savoir ce que pensent les uns et les autres, pour entendre tel message discret, pour observer telle réaction débarrassée des convenances officielles, etc. C’est le cœur même du travail de la communication, qui vaut pour tous les métiers du domaine : diplomatie, renseignement, journalisme, etc. Même en temps de guerre, des gens des deux bords gardent des contacts dans les capitales neutres, parce que tout a toujours fonctionné dans ce domaine de cette façon. Jamais du temps de cette époque à laquelle je me réfère, même lors de périodes souvent très brèves de très grande tension (lors de la destruction d’un Boeing 747 de la Korean Airlines le 31 août 1983 ou lors du déploiement des premiers euromissiles US en novembre de la même année 1983), jamais il n’y eut une telle perception d’une volonté de rupture de la conversation discrète de la diplomatie.

Même l’argument souvent avancé du côté US, – “nous n’avons rien connu de pareil depuis le McCarthysme”, – pêche par une faiblesse décisive. Le McCarthysme était ce qu’on sait qu’il fut, mais au moins on pouvait avancer la justification qu’il répondait à une atmosphère qui n’était pas plus rationnelle. Le côté soviétique, jusqu’à la mort de Staline qui correspond à peu près au paroxysme du McCarthysme, entretenait à Moscou une démence semblable, à la mesure de l’état psychologique en pleine déliquescence paranoïaque de Staline, mort en mars 1953. La chute de Joe McCarthy date de janvier 1954. Aujourd’hui, on ne peut dire que la Russie de Poutine ait, dans le domaine de la paranoïa, de la terrorisation et de la démence, le moindre rapport avec l’URSS des dernières années de Staline.

Alors, entendre un diplomate d’un pays comme la Russie en poste à Washington dire qu’il a proposé des rencontres avec des fonctionnaires US, et que ceux-ci sont peut-être “paniqués” à cette idée, et que leur seule réponse c’est “le silence”, voilà qui est vraiment extraordinaire. Soumettre de tels grands corps diplomatiques et de sécurité nationale à des exigences de sécurité totalitaires et sans le moindre fondement, qui suppriment toute initiative dans leur travail, toute discrétion dans les relations, toute prudence dans les contacts entre Washington ou l’UE avec les Russes qui leur correspondent, sans aucune raison extérieure pour justifier tout cela, c’est-à-dire “tout cela” laissé à la démence de la narrativevoilà qui dépasse même le caractère de ce qui est extraordinaire : on ne peut même plus concevoir la référence fondamentale de ce qu’on nomme en général l’“ordinaire” de cette sorte d’activité essentielle pour des relations civilisées.

Du point de vue du travail que l’on doit faire, on comprend que l’extraordinaire confine à l’absurde. La communication, l’information, le renseignement constituent un outil essentiel de toute politique étrangère, comme de toute sécurité nationale. Soumettre ces activités à un interdit qu’on ne peut qualifier que de policier selon des arguments qu’on ne peut décrire que comme nés de la démence, c’est sacrifier complètement cet outil essentiel, c’est ramener la diplomatie et les relations extérieures au temps de la barbarie ou au temps de la croisade et de l’excommunication ; c’est soumettre la politique à la violence primaire de l’incivilité ou à l’impératif dogmatique de la religion, c’est-à-dire dans les deux cas dénier l’existence de l’Autre. C’est plonger le destin du monde dans cette sorte de poison dont l’ambassadeur de Russie dit qu’il charge toute l’atmosphère de Washington D.C.

L’observation de l’ancien chef du renseignement russe Leonid Chebarchine, selon lequel « l’Ouest ne veut qu’une seule chose de la Russie : que la Russie n’existe plus » est devenue un constat de la vie courante pour nos dirigeants et notre diplomatie. La Russie n’existe plus pour eux.

Je ne peux en sortir d’autre conclusion qu’en me référant à nouveau à ces temps si étranges que nous vivons. Je laisse de côté toutes les sornettes habituelles, la moraline dégoulinante et dégoûtante qui nous charge la langue et nous embue l’esprit, les anathèmes religieux, l’incroyables idéologisation régnante, les narrative à se tordre de rire et enfilées comme autant de perles dont on ne cesse de vanter le lustre, qui feront un collier scintillant de mensonges plus grossiers d’une lumière faussaire les uns que les autres ; non, rien de tout cela, parce que je veux aller au cœur de la chose… Je ne peux conclure autre chose que le constat que nous vivons dans des temps d’une sorte de crépuscule totalitaire qui règne sur les esprits et les plonge dans la nuit.

Nul ne sait d’où vient cette démence totalitaire ni ce qu’elle veut, ni où elle va ; personne ne connaît notre soi-disant Big Brother qui est lui-même une narrative, et tout le monde s’emploie à proclamer dans un silence terrorisé qu’il faut taire ce nom que personne ne connaît. Tout cela nous écrase dans une poigne colossale, exerçant sur nous toute la puissance d’une monstrueuse emprise dont nul ne sait d’où elle vient et qui l’oriente. Même Atlas se tait et songe à ne plus porter ce monde dont la folie l’irrite comme elle rend furieux les dieux.

Philippe Grasset pour dde

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