Après quatre mois au pouvoir, le président américain Donald Trump annonçait solennellement sa décision le 1er juin 2017 de respecter sa promesse de campagne et de sortir les Etats-Unis de l’accord de Paris sur le climat de 2015.
Quoi qu’on en pense, et y compris si c’est pour le vomir ensuite, il est nécessaire d’analyser le discours de Trump. Même si le personnage a bien évidemment ses ridicules, il n’est certainement pas le seul à vouloir la sortie des États-Unis de l’accord de Paris, c’est une position qu’il ne fait que représenter, et qui n’est pas soutenue que par des incultes ou des gens qu’on puisse se contenter de tourner en dérision. Sans compter que se moquer ou se scandaliser n’a jamais fait avancer aucun schmilblick.
Quelles justifications pour cette décision ?
La détermination de Donald Trump à appliquer cette promesse de campagne de sortir les Etats-Unis de l’accord de Paris sur le climat a de quoi surprendre, au vu des contraintes à première vue assez réduites qu’il fait concrètement peser.
S’il a été possible de convaincre pratiquement tous les pays au monde de se joindre à cet accord, c’est avant tout parce qu’il n’est pas contraignant. Il permet à chaque pays de définir ses propres objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et ne prévoit aucun moyen de les faire respecter. (lien en anglais)
L’accord de Paris s’appuie sur le pouvoir de la transparence et de la pression exercée par les pairs. Il n’exige des pays participants que de dire ce qu’ils comptent faire et de rendre compte de ce qu’ils ont faits. En un mot, il est basé sur le volontariat.
Ce qui ne veut pas dire qu’il ne soit pas important. Les engagements publics sont un moteur puissant. Ils peuvent stimuler et organiser la politique intérieure. L’échec à les honorer endommage la réputation. Mais ils n’ont pas force légale par eux-mêmes.
Alors, pourquoi cette sortie dont le coût politique y compris aux États-Unis mêmes risque d’être élevé ?
Une fois mis de côté les – nombreux – effets de rhétorique, il ressort du discours du président américain deux arguments forts :
1. L’accord de Paris est dénoncé comme injuste parce que les efforts ne sont pas également répartis entre tous les pays, les émergents bénéficient de délais importants avant de commencer à réduire leurs émissions, 2030 pour la Chine et l’Inde, tandis que les plus pauvres bénéficient de 100 milliards d’aide à rassembler par les plus développés.
Il s’agit ici d’une remise en question des concessions obtenues par les pays en voie de développement comme quoi les pays développés, ayant plus contribué au réchauffement jusqu’ici, doivent faire davantage d’efforts pour compenser – ils partent en quelque sorte en position débitrice – ce qui tient compte aussi de leurs émissions de carbone plus élevées par habitant, même si inférieures par unité de valeur produite.
Non dit le gouvernement américain : le passé est le passé on ne va pas le prendre en compte, et ce sont les émissions actuelles qui doivent servir de référence, sans que les émergents bénéficient d’un délai supplémentaire pour continuer à augmenter leurs émissions, ni tenir compte des émissions par habitant, lesquelles sont évidemment fortement corrélées avec la prospérité par habitant.
2. Les États-Unis sont décrits comme possédant des ressources naturelles immenses, jusqu’à il y a peu encore largement inconnues ou du moins inexploitables – gaz et pétrole de schiste accessibles par fracturation hydraulique notamment – et respecter l’accord de Paris obligerait à ne pas les utiliser, si bien que l’Amérique serait moins prospère, aurait moins d’emplois et moins de croissance.
Il y a ici refus clair et net de laisser dans le sol une partie des ressources en énergie fossile qui pourraient en être exploitables. Ce refus tient pour nul et non avenu les résultats de recherche concordants comme quoi pour maintenir le réchauffement dans des limites moins dangereuses, il faudrait laisser dans le sol une partie considérable des ressources en pétrole, en gaz, et encore plus en charbon qui s’y trouvent.
Non dit le gouvernement américain : puisque l’énergie fossile est nécessaire à la prospérité, laquelle est nécessaire à l’emploi, les intérêts des États-Unis commandent d’en utiliser tout ce qu’on peut.
Le fond de l’argumentation de Trump
Le président américain a déclaré, c’est sans doute là le fond de son argumentation, qu’il a été élu pour représenter les intérêts des citoyens de « Pittsburgh, pas Paris »
I was elected to represent the citizens of Pittsburgh, not Paris
C’est pour cela que l’argument de justice – pays développés plus pollueurs dans le passé, pays en développement qui ont besoin de se développer encore – est refusé. Car l’argument de justice dans ce cas précis joue contre les intérêts des États-Unis, et Trump estime avoir été élu pour défendre les Américains, et non la justice.
L’argumentation est chauvine – une position « my country, right or wrong« , mon pays qu’il ait raison ou tort, en l’occurrence que défendre ses intérêts soit ou non au détriment d’un intérêt général humain plus large – et elle est à courte vue – prospérité plus grande pour quelques années supplémentaires peut-être, mais problèmes plus graves pour les enfants ou les petits-enfants.
Elle n’est pas fausse. Encore moins ridicule ou absurde. C’est différent: elle est mauvaise sur le plan moral, dans la mesure exacte où défendre un intérêt national au détriment de celui de l’ensemble de l’humanité, tout comme favoriser le court terme de la prospérité au détriment des intérêts de long terme notamment ceux des jeunes générations, sont des actes immoraux.
Comme il serait pratique qu’elle soit fausse, encore mieux qu’elle soit ridicule ! Alors il serait plus facile de la vaincre.
Mais non. Il est effectivement exact que laisser beaucoup de fossiles dans le sol, c’est de la croissance en moins – assez rapidement, il sera plus exact de dire de la décroissance en plus – les perspectives des énergies renouvelables sont fortement exagérées et les formules comme « croissance verte » sont largement illusoires voire de pieux mensonges. Il est effectivement exact que la répartition des limitations d’émissions de carbone entre les différents pays est un jeu à somme nulle, le gain de tel pays est la perte de tel autre, tandis que le président américain est en charge de défendre les intérêts des Américains, pas ceux des autres peuples ni ceux d’une justice abstraite.
Quelle signification pour la lutte contre le réchauffement climatique ?
Ce qui se passe n’est pas simplement la foucade d’un personnage public trop facile à ridiculiser, ni la promesse d’un démagogue. C’est beaucoup plus important. Ce qui se passe est la chose suivante : en ce qui concerne le réchauffement climatique, nous sommes en train d’entrer dans le dur.
C’est-à-dire que pour la première fois un dirigeant a cessé de faire semblant de croire qu’une « nouvelle croissance » écologique pourrait remplacer l’ancienne, en même temps qu’il a refusé d’accepter qu’on limite la croissance d’aujourd’hui pour les intérêts des gens de demain ou que des pays plus riches comme le sien fassent des efforts plus grands que les plus pauvres.
C’est la première fois. Rien ne permet de penser que ce sera la dernière.
La situation telle qu’elle est, c’est-à-dire la nécessité de limiter la croissance pour tenter de contrôler les dégâts apportés à l’environnement notamment au climat, c’est-à-dire la justice dans un jeu à somme nulle d’accepter que la limitation de prospérité soit plus importante pour les plus prospères que pour les moins prospères… cette situation au fur et à mesure qu’elle sera de plus en plus clarifiée provoquera sans doute d’autres refus, ouverts comme celui de Donald Trump, ou plus discrets, dans tel ou tel autre pays, maintenant ou bien plus tard.
Et limiter contre le réchauffement climatique nécessitera de les surmonter.
Nul ne sait ce qu’a exactement dit le pape François au président Trump le 24 mai dernier. Il n’a pas réussi à le convaincre. C’était lui pourtant qui avait le plus de chance d’y arriver, parce que Trump quoique d’une autre confession que la catholique est chrétien. Et au-delà même du cas particulier de l’accord de Paris, l’argument pour la limitation de la prospérité au bénéfice de l’avenir des plus jeunes et des générations futures tout comme pour des efforts particuliers des plus riches en ce sens est bien chrétien – si vous l’êtes. Ou bien il est humaniste athée, ou musulman, bouddhiste etc. – suivant quelle est la source la plus profonde de votre morale personnelle.
Parce que cet argument est moral et pas autre chose.
DDE