Cela semble une provocation, mais c’est pourtant la réalité. La haine que suscite la Russie dans les vieilles nations impérialistes et colonialistes comme la France, les USA et l’extravagant Royaume-Uni (lisez Hobson qui parlait de l’inconsistance britannique) ne peut s’expliquer que comme cela. Et la disparition de l’U.R.S.S. a facilité le retour du refoulé impérial, tout comme il a favorisé le retour du refoulé antisocial, avec ces 400 américains plus riches que 200 millions d’autres (voyez les data rassemblés par Michael Snyder). La fin de l’UR.S.S. a annihilé toutes les politiques sociales, et le seul prix Nobel honnête d’économie Stieglitz l’avait confirmé. La débandade sociale de l’Europe germanique-libérale est caractérisée par le retour du travailleur-esclave à 400 euros/mois.
C’est une restauration, comme l’écrivait Pierre Bourdieu en 1997, et nous sommes revenus au temps des canonnières et des empires…
Mais cette fois les vieillissants empires occidentaux trouvent à qui parler.
Récemment l’écrivaine Rebecca Toledo notait :
« La fin de l’Union soviétique et de la Révolution Russe ont vu une augmentation des agressions impérialistes dans le monde. L’Irak, la Somalie, la Yougoslavie, l’Afghanistan, la Libye et la Syrie ont tous été envahis par les États-Unis depuis que le camp socialiste n’est plus là pour faire contrepoids. C’est le signe indéniable de son importance, non seulement pour empêcher les guerres impérialistes, mais aussi comme inspiration et comme base du socialisme et de l’émancipation des peuples. »
C’est pourquoi la Russie apparaissait comme le pays à abattre dès les années 2000. Emmanuel Todd toujours inspiré dans son Après l’empire écrivait :
« Les États-Unis sont en train d’échouer dans leur tentative pour achever ou, plus modestement, isoler la Russie, même s’ils continuent de faire comme si leur vieil adversaire stratégique ne comptait plus, soit en l’humiliant, soit en affectant la bienveillance qu’on doit à un moribond, parfois en combinant les deux attitudes. »
Todd soulignait aussi la supériorité intellectuelle russe, qui est devenue marquante depuis deux ans :
« Quelle que soit l’intelligence du livre de Brzezinski, il y avait dans la métaphore de l’échiquier de son titre un je-ne-sais- quoi d’acte manqué, au sens freudien, comme un pressentiment de ratage : on ne devrait pas jouer aux échecs avec les Russes dont c’est le sport national. »
Alors qu’on accuse les russes de tous les maux totalitaires possibles et surtout imaginaires, Todd ajoutait cette évidence :
« Elle a abattu par elle-même le régime totalitaire le plus complet jamais mis en place dans l’histoire de l’humanité. Elle a accepté sans violence que ses satellites d’Europe de l’Est prennent leur indépendance, suivis des pays baltes et des républiques du Caucase et d’Asie centrale. Elle a accepté la fission du cœur proprement russe de l’État, la séparation de la Biélorussie et de l’Ukraine. Elle a admis que la présence d’énormes minorités russes dans la plupart des nouveaux États n’interdisait pas leur indépendance. »
Sur cet universalisme démocratique russe, qui fait plier les colonialismes les plus tarés, Todd ajoute :
« Le communisme, doctrine et pratique de servitude, inventé par elle, a séduit à l’extérieur de l’empire russe des ouvriers, des paysans, des professeurs, constituant l’aspiration communiste en force planétaire… Le communisme s’est affirmé comme une doctrine universelle, offerte au monde, pour son malheur je le reconnais. Cette approche universaliste a permis la transformation de l’empire russe en Union soviétique. Le bolchevisme a aspiré vers ses cercles dirigeants les minorités de l’empire : baltes, juifs, géorgiens, arméniens. Comme la France, la Russie a séduit par sa capacité à considérer tous les hommes comme égaux. »
A transmettre à BHL et consorts. Todd martèle encore cette vérité psychologique élémentaire :
« Le tempérament universaliste russe manque cruellement à la politique internationale ces temps-ci. La disparition de la puissance soviétique, qui imprimait une marque égalitaire aux relations internationales, explique en partie le déchaînement des tendances différentialistes, américaine, israélienne ou autres. »
Mais comme on sait, ces tendances « suprématistes-différentialistes » ont du souci à se faire ; quant à la France hexagonale et au Royaume-Uni désuni, ils sont devenus la risée du monde libre. Mais comme disait un cinéaste célèbre à propos de la critique de cinéma, ces institutions gardent leur pouvoir de nuisance, au contraire de la Russie qui ne cesse de montrer aux hommes de bonne volonté que le bons sens et le futur sont de son côté.
Todd concluait excellemment :
« Si la Russie ne sombre pas dans l’anarchie ou l’autoritarisme, elle peut devenir un facteur d’équilibre fondamental : une nation forte, sans être hégémonique, exprimant une perception égalitaire des rapports entre les peuples. »
La presse française ne risque certainement pas de comprendre ; mais est-ce si grave ?
dde