Il y a quelques plumes qui, sans être détestables dans le champ de la réflexion sur certains sujets, n’en sont pas moins très significatives du sentiment général du gigantesque appareil de puissance corruptrice dont elles dépendent pour leur fortune, – dans les deux sens du mot, noble et vénal. C’est le cas de Daniel Gouré, qui est Senior Vice-President du Lexington Institute, une de ces institutions que le Complexe Militaro-Industriel (CMI) soutient indirectement pour faire répandre la bonne parole sous un faux-nez dont nul n’est dupe dans la profession, mais qui peut faire impression dans les milieux généraux d’influence et de pouvoir qui ne sont pas précisément informés.
Dans l’article que nous citons ici (du 3 mai 2018, également publié dans The National Interest), Gouré parle des nouveaux systèmes hypersoniques, précisément ceux dont Poutine a présenté officiellement l’existence dans son discours du 1ermars 2018 pour la partie russe, mais aussi ceux dont la Chine est en train de s’équiper. L’article est divisé en deux parties qui sont d’un égal intérêt et nous en disent beaucoup sur l’appréciation et les réactions US vis-à-vis de ces nouveaux systèmes, à la fois pour ce qu’ils pensent de la position des Russes et des Chinois, à la fois pour ce qu’il en est de la riposte américanistes.
(On y remarque d’ores et déjà que certains experts US, officiels et autres dont Gouré exprime sans doute le sentiment général, semblent beaucoup plus impressionnés par les réalisations et les ambitions des Chinois que celles des Russes. Mais cette appréciation n’a pas de signification objective profonde et ne fait que marquer un engagement stratégique et politique d’une partie de la communauté de sécurité nationale jugeant que l’ennemi principal est la Chine.)
La première partie dit ceci :
« Dans un discours prononcé au Sénat le 14 août 1958, le sénateur et aspirant candidat à la présidence John F. Kennedy proclama l’existence d’un “missile gap” entre les États-Unis et la Russie. Kennedy affirmait qu’à moins de corriger immédiatement ce déséquilibre, le résultat serait l’affaiblissement de la capacité des forces stratégiques américaines à exercer leur dissuasion à l’encontre de l’Union Soviétique. Il apparut plus tard que la situation avait été distordue et qu’en fait le rapport des missiles balistiques à capacité nucléaire favorisait nettement les États-Unis.
Un nouveau “missile gap” apparaît, et celui-là est basé sur des faits vérifiables. Il s’agit de la disparité qui s’est creusée entre les États-Unis et ses principaux concurrents, la Russie et la Chine, dans le domaine des systèmes d’armes hypersoniques. Un véhicule hypersonique est un système qui se déplace dans l’atmosphère à une vitesse d’au moins cinq fois celle du son, ou Mach 5 [un peu plus de 6 000 km/h dans des conditions moyennes]. Un missile de croisière hypersonique circule continuellement dans l’air en utilisant un moteur spécial à haute puissance. Un véhicule planant hypersonique est lancé dans l’espace au sommet d’un missile balistique, après quoi il manœuvre dans les parties supérieures de l’atmosphère jusqu’à ce qu’il se trouve au-dessus de sa cible et plonge vers elle. Les deux types de véhicules peuvent transporter des armes classiques ou nucléaires.
Les systèmes d’armes hypersoniques pourraient considérablement modifier l’équilibre existant entre les forces militaires conventionnelles entre les États-Unis et ses principaux concurrents. Ils pourraient frapper des cibles militaires-clef telles que des aérodromes, des centres de commandement et de contrôle, des dépôts et des concentrations de forces quasiment sans alerte préalable. Les systèmes hypersoniques sont considérés comme particulièrement efficaces contre les porte-avions, les gros navires de guerre de surface, les navires de guerre amphibies et les transports fournitures militaires essentielles.
Ce nouveau “gap” pourrait être beaucoup plus important que celui qu’évoquait [à tort] le sénateur Kennedy il y a une soixantaine d’années. Les armes hypersoniques sont extrêmement difficiles à suivre avec les détecteurs de l’espace aérien des systèmes de défense antimissile existants et pratiquement impossibles à intercepter. Selon le général John Hyten, Commandant du commandement stratégique américain: “Nous n’avons aucune défense contre l’emploi d’une telle arme contre nous, aussi notre riposte ne pourrait être que l’emploi de notre force de dissuasion, c’est-à-dire la triade de nos capacités stratégiques nucléaires au plus haut niveau”.
Les hauts responsables de la défense des États-Unis ont clairement indiqué que la Russie et la Chine étaient actuellement en tête de la course au développement et au déploiement de missiles hypersoniques. L’année dernière, la Chine a testé un missile hypersonique, le DF-17. Selon le sous-secrétaire à la Défense pour la recherche et l’ingénierie récemment confirmé, le Dr Michael Griffin : “La Chine a mis en service ou peut mettre en service … des systèmes hypersoniques pour une attaque conventionnelle rapide qui peut atteindre des cibles à milliers de kilomètres de la côte chinoise et faire courir les plus grands risques à nos groupes aéronavals ou à nos forces déployées de l’avant.
“Nous n’avons pas aujourd’hui de systèmes qui puissent les mettre en péril d’une manière correspondante, et nous n’avons pas de moyens de défense contre ces systèmes. S’ils choisissent de les déployer aujourd’hui, nous serions désavantagés”.
Dans son discours télévisé à l’Assemblée fédérale russe, Vladimir Poutine a souligné le fait que l’armée russe avait déployé des armes stratégiques invincibles capables de vaincre toute défense. Il a ensuite annoncé que son pays “développe activement des armes hypersoniques”.
Le directeur de la DARPA, Steven Walker, a souligné que la Chine a construit une infrastructure scientifique et technique importante pour soutenir le développement de systèmes d’armes hypersoniques. “Si vous regardez certains de nos concurrents, et particulièrement la Chine, vous voyez que le nombre d’installations qu’ils ont construites pour fabriquer des systèmes hypersoniques […] surpasse le nombre que nous avons dans ce pays. Il les dépasse rapidement d’un facteur de l’ordre de 2 ou 3. Il est clair que la Chine en a fait une de ses priorités nationales. Nous devons faire la même chose.”
Les systèmes hypersoniques feront partie intégrante des stratégies anti-accès / interdiction de zone (A2 / AD) de la Russie et de la Chine. Le but de ces stratégies est de créer un environnement offensif et défensif mortel pour l’adversaire jusqu’à des milliers de kilomètres des territoires de ces acteurs, que leurs adversaires, en particulier les États-Unis, ne peuvent pas pénétrer. Les deux pays déploient déjà activement des systèmes de défense aérienne et antimissile hautement sophistiqués et intégrés ainsi que des missiles balistiques et de croisière basés sur terre et sur mer, certains capables de frapper des cibles mobiles. »
Il s’agit ici d’un compte-rendu succinct mais très complet de l’actuelle situation des capacités des missiles hypersoniques russes et chinois clairement déduites à partir de sources officielles venues du Pentagone, y compris de déclarations publiques. Si l’on tient compte de la personnalité de l’auteur avec son expérience professionnelle et des engagements qu’il doit tenir vis-à-vis de la communauté de sécurité nationale pour le bien de ses bailleurs de fond (l’industrie d’armement), on jugera que le compte-rendu reflète sans nul doute l’évaluation que cette communauté fait des capacités en hypersonique de ses deux principaux adversaires potentiels. Le moins qu’on puisse dire est que la situation décrite représente un danger extrême pour la sécurité des USA, si l’on tient compte des attitudes habituelles à cet égard, d’autant qu’il est constamment souligné que rien ne peut être fait contre ce type de systèmes hypersoniques et que les premiers d’entre eux commencent à entrer en service (le Kh-47M2 Kinzhal, d’ores et déjà en service limité sur des avions MiG-31, a une portée de 2 000 kilomètres et une vitesse de Mach 10).
A cette lumière de la première partie du texte, on appréciera d’autant plus la modération de la seconde partie, qui énonce les mesures prises ou à prendre du côté US, dans ce domaine de l’hypersonique, pour contrer la menace sino-russe. On n’y relève aucun sentiment d’extrême urgence, encore moins de panique stratégique, ni aucune suggestion particulière pour accélérer la réaction des USA.
Il est d’une importance vitale que les forces armées américaines développent les capacités pour vaincre les stratégies A2 / AD de la Russie et de la Chine. Cela nécessite des systèmes capables de pénétrer les défenses aériennes intégrées et de contrer la menace que représentent les systèmes de frappe à longue portée, en particulier les armes hypersoniques. Des systèmes furtifs tels que le B-2, le F-22, le F-35 et, dans un futur proche, le B-21 font partie de la réponse.
» Voyons maintenant les capacités US dans le domaine précis des missiles hypersoniques. Selon des articles de presse récents, ce qui n’a longtemps été qu’une série d’expériences scientifiques parcellaires a été organisé en un programme cohérent destiné à produire une nouvelle génération d’armes à longue portée et à très grande vitesse capables de neutraliser l’espace aérien hostile intégré. les défenses et de mettre en péril une série de cibles adverses, y compris les sites de lancement de missiles balistiques.L’USAF a une feuille de route pour développer une arme hypersonique d’ici 2020 et un avion hypersonique pour effectuer des opérations de renseignement, de surveillance et de reconnaissance dans un environnement A2 / AD d’ici 2030. À la mi-avril, l’USAF a signé avec Lockheed Martin un contratde $1 milliard pour une arme conventionnelle hypersonique.
» La DARPA est à l’avant-garde des efforts du Pentagone pour revenir dans la course de systèmes hypersoniques. Les ressources pour la recherche dans ce domaine ont triplé au cours des trois derniers budgets de la défense. La DARPA prévoit de commencer en 2019 de tester des véhicules d’essai pour un système planant tactique en 2022 ou 2023. Ces développements ne sont pas de trop à la lumière de ce que font la Chine et la Russie. »
Le paragraphe de conclusion ci-dessous nous paraît particulièrement terne, compte tenu de l’urgence de la situation selon notre point de vue et l’expérience que l’on a des “alertes” auxquelles ont dû faire face les forces armées US lors de l’apparition de nouveaux systèmes soviétiques, durant la Guerre froide. (Si ces “alertes” étaient souvent exagérées pour les besoin de la cause, elles constituaient une part importante du fonctionnement de la communauté de sécurité nationale US, et c’est l’absence d’une telle réaction qui est ici remarquable.) Cette modération est encore plus étonnante lorsqu’on sait que Gouré représente les intérêts de l’industrie militaire qui devrait pousser au feu et faire sonner le tocsin pour pousser à de nouveaux programmes et à de nouveaux systèmes, en même temps que réclamer l’accélération des programmes en cours… Mais non, Gouré conclut simplement ceci :
« Au cours des dernières décennies, les États-Unis ont peut-être perdu leur avance dans un certain nombre de technologies militaires avancées, y compris les hypersoniques. Mais cela ne signifie pas qu’il sont hors de la course. L’hypersonique est un domaine qui doit devenir une priorité de modernisation pour l’administration Trump et celles qui suivent. »
D’un “missile gap” l’autre
Ce texte, qui est pris ici comme exemplaire selon des critères qui justifient complètement cette démarche, rend un son étrange. Si l’on veut résumer d’une façon spectaculaire ce qu’il nous dit d’une façon synthétique lui-même, on en sortira trois points qui établissent des contrastes bien inattendus…
• Il est certain que Russes et Chinois possèdent une avance considérable dans le domaine de l’hypersonique, avec l’entrée en service de modèles considérés comme opérationnels, de nombreux programmes en cours dont certains en tests finaux avec l’entrée en service très proche, enfin une base industrielle de première importance pour développer l’hypersonique. Dans ce domaine, le temps est très court et cette avance de quelques années des Russes et des Chinois est décisive ; le danger n’est pas prospectif ni hypothétique, il est réel, il existe d’ores et déjà.
• La “riposte” US est lénifiante… Après avoir cité les sempiternels avions stealth dont le sublime F-35 qui saura certainement réduire à néant les répercussions de l’emploi des hypersoniques, on annonce qu’on commence à s’organiser. Les dates avancées pour des projets ou, au mieux, des développements qu’on espère à leur terme (sans qu’il soit question d’une date précise d’entrée en service opérationnel) sont 2020, 2022, 2025, 2030, selon les projets. Nulle part, il n’est question d’urgence, d’un programme accéléré (“crash program”), etc., comme les USA ont fait dans des cas spécifiques (bombe atomique, satellites et vol dans l’espace, etc.)
• La conclusion déclare que les USA ont perdu leur avance (ont été dépassés) dans diverses technologies, mais “qu’ils ne sont pas hors-course”. L’hypersonique « doit devenir une priorité » pour l’administration en place et les administrations à venir… Gouré ne risque pas de mobiliser les esprits ni les bureaucraties avec de telles banalités qui sont répétées d’une façon récurrente pour toutes sortes de circonstances et de programmes depuis des décennies. Or, l’hypersonique est quelque chose qui sort complètement de l’ordinaire, qui représente pour les USA, vu le degré ce développement et d’opérationnalité de ces systèmes des côtés russe et chinois, une menace considérable sinon une menace existentielle si des solutions et des moyens de riposte ne sont pas très vite mis en place. Contrairement à ce qu’on a affirmé souvent depuis quelques semaines, et comme Poutine lui-même l’a observé, les Russo-Chinois ne “rétablissent pas l’équilibre” avec les forces stratégiques US, avec l’entrée en service de leurs systèmes hypersoniques, ils font basculer en leur faveur le déséquilibre stratégique jusque-là en leur défaveur depuis la fin de la Guerre froide, et plus encore depuis 9/11 suivi presque immédiatement du retrait US du traité de limitation des ABM. (En effet, les circonstances depuis la fin de la Guerre froide, 9/11, le retrait du traité ABM, l’affirmation hégémonique US, ont complètement pulvérisé la notion d’“équilibre stratégique” qui implique un certain accord de parité entre les “partenaires“ : il s’agit désormais d’une course de facto à la supériorité.)
Gouré fait allusion à une autre circonstance, – au premier “missile gap” de l’histoire, celui de 1958, dénoncé par Kennedy qui préparait ainsi son élection de 1960. (“Missile gap”, expression employant le mot “gap” pour signifier un “écart” ou un “avantage” qui crée un “trou” difficile à combler.) Il y avait eu un premier tir d’un missile balistique intercontinental soviétique en août 1958, qui amena ce constat stupéfiant pour l’époque, aux USA comme en Europe : l’URSS pouvait atteindre des objectifs aux USA (et en Europe a fortiori) avec des ogives nucléaires. Assez rapidement, après l’élection de Kennedy, la situation s’éclaircit et le simulacre apparut en pleine lumière : les USA disposaient aussi de ce type de missiles (les Atlas déjà en service), en nombre beaucoup plus important que ceux des Soviétiques, et beaucoup plus précis.
(C’était déjà l’époque où l’on jugeait normal que les USA détiennent des armes capables de tirer du nucléaire sur l’URSS, – outre les Atlas, des Jupiter et desThor de portée moyenne basés en Turquie et au Royaume-Uni. Il ne serait venu à l’idée de quiconque à l’Ouest que les Soviétiques pussent être paniqués à l’idée d’être ainsi les cibles d’armes nucléaires US, et cherchassent à combler ce retard, – ce qui fut pourtant le cas et aboutit notamment à l’installation de missiles russes IRBM de moyenne portée à Cuba en 1962, cause de la crise du même nom.)
… Toutes ces circonstances n’empêchèrent pas une véritable panique de se déclencher à propos de ce missile ICBM russe à la fin des années 1950. L’écho public fut considérable, et l’on estima, avec la perception que l’on avait alors de l’URSS et la vision angélique courante de la puissance US, que l’Occident dans son entièreté, que la civilisation elle-même étaient menacées. Bien entendu, le CMI (qu’Eisenhower devant dénoncer dans son discours de janvier 1961) profita de la circonstance pour faire accélérer tous les programmes stratégiques, augmenter les commandes, etc., dans une atmosphère de mobilisation générale.
A côté de ces remarques concernant la réalité faussaire de ce premier “missile gap” et des réactions des uns et des autres, il y a la vérité-de-situation incontestable de ce second véritable “missile gap”, infiniment plus dangereux pour les USA que le simulacre de 1958 et toujours avec les mêmes perceptions prévalant (la Russie “démonnisée” à la place de l’URSS, les USA toujours surarmés et toujours angéliques). Dans ce contexte, ce qui nous étonne et nous paraît très caractéristique, c’est la tiédeur des réactions d’alarme comme on a pu le lire dans le texte de Gouré.
Ce point retient particulièrement notre attention et mérite, selon nous une explication approfondie, ou plutôt l’une et l’autre hypothèses comme tentative d’explication de cette réaction si surprenante. Après tout, même un homme comme Gouré, relais bien connu de l’industrie de l’armement, ne propose aucun programme nouveau ni l’accélération des recherches en cours, plaidant simplement cette évidence déjà énoncée par plusieurs officiels du Pentagone, et que même un journaliste spécialisé dans les faits divers et pourtant bon patriote américaniste énoncerait, que « L’hypersonique est un domaine qui doit devenir une priorité de modernisation pour l’administration Trump et celles qui suivent ».
• Nous voyons une première cause dans l’incapacité absolue des USA de se débarrasser de leur sentiment d’exceptionnalité, et de supériorité militaire globale et universelle qui l’habite comme une véritable pathologie de la psychologie depuis 1990-1991 et 9/11. (Auparavant ce n’était encore qu’un grave complexe de supériorité.) Il s’agit des traits de la psychologie américaniste qui expliquaient, comment les USA avaient laissé se développer une puissance électronique supérieure chez les Russes. Ce sentiment, explique aussi bien la lenteur US dans le développement des engins hypersoniques que l’absence de réactions d’alarme, voire de panique au niveau public, mis à part quelques spécialistes qui affrontent directement le problème…
« Nous (dde) avons toujours suivi avec le plus grand intérêt, les caractéristiques de la psychologie de l’américanisme, que nous tenons comme spécifique, “exceptionnelle” dans le sens de n’être radicalement pas comme les autres (ce qui ne signifie nullement dans notre interprétation “supérieure” aux autres types psychologiques, cel va de soi). Il existe aux USA dès les origines un tel usage intensif de la communication pour formater le sentiment du citoyen vis-à-vis de son pays, dans un pays bâti sur la communication et nullement sur la vérité historique, qu’il y a effectivement une véritable création permanente d’une psychologie américaniste typique. Au cours de nos recherches, nous avons isolé deux traits spécifiques de cette psychologie, qui constituent non pas des capacités spécifiques de perception, mais des perceptions imposées à la psychologie américaniste à la différence des autres. Outre le trait de l’inculpabilité qui est le sentiment de l’absence à terme et décisivement de culpabilité de l’américanisme quelle que soit son action, il y a également le caractère de l’indéfectibilité, complément du précédent, qui est la certitude de ne pouvoir être battu dans tout ce qui figure conflit et affrontement. »
• Une autre cause pourrait être un certain désintérêt de l’industrie d’armement (Gouré parle d’abord pour elle) pour des programmes à haut risque de hautes technologies. L’industrie d’armement US est de plus en plus confrontée à des problèmes d’inefficacité, de complexité et de corruption des processus dans l’intégration de hautes technologies pour des tâches opérationnelles, et elle se débat dans des marasmes technologiques tels que le F-35 ou des programmes naval comme le porte-avions classe Gerald Ford et la corvette classe Zumwalt. Il n’est pas assuré que la plongée dans le développement des programmes hypersoniques porteurs d’un tel enjeu l’enthousiasme et sans doute préfère-t-elle laisser la DARPA (l’Agence officielle de recherches du Pentagone) porter le plus loin possible cette charge. Elle y participera et y participe déjà bien entendu, mais en traînant des pieds : la fabrication et la modernisation à la chaîne de missiles de croisière et autres sont beaucoup plus aisés et beaucoup plus lucratifs.
En attendant que les USA se décident à bouger au-delà de leurs prévisions de programmes, et considérant leur difficulté considérable à ne pas trop se laisser distancer, sans parler de rattraper leur retard, Russes et Chinois vont se retrouver non seulement avec une supériorité stratégique, mais aussi et surtout avec une capacité de chantage stratégique… En un sens, les engins hypersonique donnent aux USA vis-à-vis d’eux-mêmes la place inconfortable que les Européens occupaient lorsque de Gaulle décida de construire la force nucléaire indépendante française.
Le raisonnement de De Gaulle pour développer sa force nucléaire de dissuasion était :“Croyez-vous que les USA risqueraient, par un échange stratégique nucléaire de riposte, New York, Chicago et même l’intégrité entière de leur nation (même s’ils détruisent l’URSS) pour la destruction de Hambourg ou de Paris par l’URSS ?” … La question devient aujourd’hui : “Croyez-vous que les USA risqueraient l’anéantissement d’eux-mêmes par une riposte nucléaire stratégique qui reviendrait à un échange d’anéantissement entre les USA et la Russie si les Russes détruisaient avec quelques engins hypersoniques le porte-avions USS Harry S. Truman ?” Le général Hyden, chef du Strategic Command, pose effectivement indirectement ce problème et cette question lorsqu’il dit : « Nous n’avons aucune défense contre l’emploi d’une telle arme contre nous, aussi notre riposte ne pourrait être que l’emploi de notre force de dissuasion, c’est-à-dire la triade de nos capacités stratégiques nucléaires au plus haut niveau. »
On pourrait poser la question de savoir ce que vont faire les Russes et les Chinois de cette carte maîtresse du jeu stratégique nucléaire lorsque le comportement américaniste, qui ne connaît aucune retenue même dans une position de faiblesse parce que la psychologie américaniste ignore ce qu’est la faiblesse, deviendra insupportable par rapporta aux moyens US disponibles?
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