Une thèse spécifique (développée par ailleurs) sur les engagements syro-irano-israéliens du 10 mai est présentée par Alexander Mercouris sur TheDuran.com. Elle développe l’idée que les frappes israéliennes s’attaquaient prioritairement aux systèmes de défense anti-aériens syriens, qui se sont révélés si efficaces ces derniers temps, notamment lors de l’attaque contre la Syrie de la mi-avril.
« Mercouris consacre l’essentiel de son article aux capacités de la défense anti-aérienne syrienne encadrée par les Russes, telle qu’on a pu la mesurer ces dernières semaines. Mercouris juge que le choc résultant de ce constat est la cause principale de l’attaque israélienne, qui s’est déployée non pas contre des objectifs iraniens comme diverses informations (et photos d’identification des centres) l’ont laissé entendre, mais d’abord contre des systèmes intégrés dans l’ensemble de défense AA [de la Syrie]… »
Là-dessus, Mercouris aborde un point intéressant qui est celui du Pantsir S1, ce formidable système russe anti-aérien mobile, à moyenne portée et courte/très courte portée, avec un armement de douze missiles et deux canons de 30mm à tir ultra-rapide. (Lors de l’attaque des cruise missiles, ce système, dont les Syriens ont une quarantaine d’exemplaires a, selon le décompte russe qui est en général accepté, tiré 25 missiles et abattu 24 cruise missiles, ce qui lui donne un taux phénoménal d’efficacité de 96%.) Lors de leur attaque du 10 mai, les Israéliens ont détruit un de ces systèmes et ont très largement diffusé une vidéo montrant cette destruction.
Mercouris : « Il est à noter que la vidéo d’une frappe que les Israéliens ont publié, et qui a connu selon eux un succès considérable sur les réseaux sociaux, est celle de la destruction réussie d’un Pantsir S1 russe fourni aux Syriens.
C’est ce système de défense petit mais très efficace qui semble avoir abattu un nombre très élevé de missile US et israéliens et qui menace de rendre quasiment impuissants ces missiles dans l’espace aérien syrien. On ne sera pas surpris que sa présence constitue un motif considérable de préoccupation pour les USA et Israël. La diffusion de la vidéo semble avoir eu pour but de remonter le moral notamment des militaires US et israéliens selon l’idée qu’on voit bien que le Pantsir S1 n’est pas invincible... »
La réaction russe a été immédiate et remarquable par son importance, montrant bien qu’ils entendent protéger à tout prix la réputation du Pantsir. Plusieurs articles ont été publiés pour expliquer la destruction de ce système qui se présente sous la forme d’un camion autonome portant l’ensemble de l’armement et les systèmes radar et électroniques de détection, d’identification et de tir fonctionnant à une très grande vitesse. On trouve notamment un article très documenté sur RT, avec des déclarations diverses de spécialistes russes expliquant comment ce Pantsir a pu être surpris et détruit.
Cité dans l’article, Aytech Bizhev, un ancien commandant en chef adjoint de l’armée de l’air russe, explique l’incident par le fait que le Pantsir était soit à court de munitions, soit dans un mode inactif interdisant son intervention (il faut de deux à cinq minutes pour mettre le système en mode actif, le travail interne en mode actif étant trop exigeant pour l’équipage pour conserver continuellement ce système dans ce mode) : « Il ne peut y avoir de troisième option car le système ne se serait pas laissé détruire … Quand le Pantsir est prêt pour la bataille, il surveille constamment les avions ennemis et a un temps de réaction très rapide… » Bizhev explique que la contiguïté entre Israël et la Syrie étant complète (les deux pays ayant une frontière commune), les avions israéliens peuvent frapper les systèmes syriens proches de la frontière avant d’avoir été repérés, et sans nécessité d’entrer dans l’espace aérien syrien : les Israéliens « approchent à très basse altitude dans l’espace aérien israélien, puis prennent brusquement un peu d’altitude au sortir de la protection des hauteurs du Golan, tirent leurs missiles et rebroussent chemin. »
Des éléments supplémentaires ont rapidement été publiés du côté russe, pour clarifier l’incident, notamment à l’aide d’une photo montrant l’état du système après la frappe. La thèse du système en mode passif et d’arrêt semble être corroboré par le fait que l’équipage ne paraissait pas être à bord du véhicule, comme cela semble d’ailleurs apparaître sur la vidéo du missile israélien. Spoutnik-français publie un article autour de cette photo…
« Une photo montrant le système de défense aérienne Pantsir-S qui aurait été frappé par l’armée israélienne, a été publiée ce samedi par un journaliste russe, clarifiant un peu ce qui s’est passé lors de l’attaque. Malgré les dégâts subis, le véhicule est réparable, selon le journaliste.
Après qu’une vidéo montrant une frappe de missiles de l’armée israélienne contre un système antiaérien Pantsir-S en Syrie est parue sur le Web, une image représentant vraisemblablement le complexe de défense antimissile a été également publiée. Le journaliste russe Alexeï Anpilogov a partagé une photo du système avec des légendes en anglais, estimant que le Pantsir-S était désarmé au moment de l’attaque. Initialement, la même image avec des légendes en arabe avait été diffusée sur le Net.
Le journaliste s’est félicité du fait que le Pantsir-S ayant subi l’attaque avait survécu et reste malgré tout réparable. “La frappe a sérieusement endommagé la cabine et les roues avant uniquement. Les éléments de combat du système: radar, bloc de missiles et de canons, demeurent intacts et n’ont visiblement subi qu’un dommage insignifiant”, a évalué Alexeï Anpilogov.
À en juger par l’image, tous les missiles ont été lancés, “ce qui est visible grâce à la saleté sur les tubes”. Apparemment, “le Pantsir-S avait déjà utilisé son approvisionnement de combat et attendait un réapprovisionnement”. “Le radar est en état passif, le complexe ne suivait pas le missile qui s’en approchait , a poursuivi le journaliste et le pied hydraulique est levé…” (En état d’alerte avant d’ouvrir le feu il doit être baissé pour stabiliser la position du véhicule.) « Du coup, il [le Pantsir-S1] n’avait pas le moyen de contre-attaquer », a ajouté un autre journaliste militaire, Alexandre Kots. »
Ce remue-ménage autour d’une attaque qui a endommagé un système de tir sol-air, ce qui est un évènement généralement assez anodin dans l’actuel climat en Syrie dans le cours d’un engagement de cette envergure, montre essentiellement la dimension symbolique, voire mythique que le système Pantsir est en train d’acquérir, peut-être à hauteur pour l’intensité de la même dimension symbolique/mythique accompagnant la série S-300/S-400. Le Pantsir représente une orientation très fortement ancrée dans la tradition militaire russe (ex-soviétique) du grand soin apportée au système sol-air de courte/très courte portée, et de leur très forte intégration dans les corps terrestres de bataille ou dans tout autre élément terrestre en opération.
Les Israéliens ont fait la rude expérience de cette configuration en 1973, lors des trois-quatre premiers jours de la Guerre d’Octobre où leur aviation s’est faite hacher par les défenses sol-air syrienne et égyptienne intégrées aux unités terrestres offensives selon les conceptions russes, avant l’arrivée de missiles antiradiations (contre les radars des système sol-air) et d’avions de contre-mesures électroniques livrés par les USA. Les Israéliens perdirent près de 80 appareils durant ce conflit, la majorité durant ces premiers jours. Lors du décompte et des enseignements de cette guerre, il apparut finalement que le système le plus efficace et le plus redouté fut le Strella, un système sur véhicule mobile porteur de quatre canons de 23mm à tir ultra-rapide et guidage-radar intégré : le Pantsir fait sans aucun doute partie de la même lignée et selon une conception semblable.
L’hypothèse de Mercouris semble assez fondée (« La diffusion de la vidéo semble avoir eu pour but de remonter le moral notamment des militaires US et israéliens ») car le Pantsir a tout pour inspirer une très grande crainte aux pilotes dans les missions d’appui tactique, malgré l’emploi intensif de missiles tirés à distance. D’une façon générale, on observera que l’épisode semble indirectement confirmer l’efficacité du Pantsir lors de l’attaque des missiles de croisière US à la mi-avril : les réactions psychologiques qu’on a pu constater, aussi bien du côté israélien pour faire la promotion de la destruction d’un Pantsir que du côté russe pour expliquer que cette destruction n’a rien à voir avec les capacités du système, sont évidemment le résultat des diverses attaques et des pertes subies, et de la réputation qu’a ainsi acquise le Pantsir dans son utilisation opérationnelle. Il s’agit bien du domaine psychologique, essentiellementen raison de la perception grandissante qu’on a de son efficacité.
Si cette efficacité se confirme, le Pantsir va prendre une place importante dans le dispositif de dissuasion et d’interdiction de l’espace aérien qui est développé par les Russes, ce qui est désigné dans les capacités russes en matière de défense aérienne comme une quasi-zone de contrôle de l’espace aérien (dite Anti-Access/Area Denial [A2/AD]). Il s’agit d’une situation remarquable pour un système qui est en général perçu comme simplement complémentaire à cause de la portée réduite de son armement.
DDE