L’administration Trump a imposé des tarifs douaniers sur les exportations d’acier et d’aluminium en provenance de l’Union européenne, du Mexique et du Canada en vertu des dispositions de la loi américaine de 1962 sur la sécurité nationale, risquant ainsi une guerre commerciale rappelant celle des années 1930.
Ces tarifs ont été invoqués pour la première fois en mars, mais leur application avait été suspendue pendant que l’UE cherchait à obtenir une exemption permanente et que le Mexique et le Canada négociaient avec les États-Unis pour reformuler l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). L’UE, le Canada et le Mexique représentent environ 40% des importations d’acier aux États-Unis.
Après avoir annoncé la décision d’imposer des tarifs, le secrétaire au Commerce Wilbur Ross a déclaré que les négociations de l’ALENA n’allaient pas assez loin pour justifier un nouveau report.
Les discussions avec l’Europe n’ont rien résolu. L’UE a déclaré qu’elle était prête à « s’engager » avec les Etats-Unis sur le commerce, mais seulement s’ils retiraient la menace de tarifs douaniers. Selon le Financial Times, Washington a rejeté cette approche, affirmant que l’Europe exigeait que les Etats-Unis abandonnent le « gros marteau » comme coût d’entrée dans des négociations qui ne mèneraient nulle part.
L’UE a déclaré qu’elle prendrait des mesures immédiates de rétorsion. Elle a dressé une liste de produits américains d’une valeur de 2,8 milliards d’euros, allant du bourbon aux motos, sur lesquels imposer des tarifs.
Le Mexique a déclaré qu’il imposerait des droits sur une gamme de produits américains, tandis que le gouvernement canadien a menacé d’imposer des droits de douane d’un montant allant jusqu’à 12,8 milliards de dollars d’acier américain.
Le premier ministre canadien Justin Trudeau a dénoncé l’invocation de la «sécurité nationale» pour justifier la décision. Le Canada est un allié des États-Unis depuis 150 ans, combattant à ses côtés «depuis les plages de Normandie aux montagnes de l’Afghanistan». Il était «inconcevable» que le Canada puisse être considéré comme une menace pour la sécurité nationale des États-Unis.
«Ces tarifs nuiront à l’industrie et aux travailleurs des deux côtés de la frontière canado-américaine, perturbant ainsi les chaînes d’approvisionnement qui ont rendu l’acier et l’aluminium nord-américains plus concurrentiels à l’échelle mondiale», a déclaré Trudeau. On s’était attendu à ce que « à un certain moment on allait voir le retour du bon sens » mais il y avait peu de signes de cela à présent.
En prévision de cette annonce, largement attendue, le ministre français des Finances, Bruno Le Maire, a prévenu, après s’être entretenu avec Ross, que l’UE n’aurait d’autre choix que «d’engager une guerre commerciale» avec les États-Unis. « Nos amis américains doivent savoir que s’ils devaient prendre des mesures agressives contre l’Europe, l’Europe ne serait pas sans réaction », a-t-il déclaré.
Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a dit que l’UE irait de l’avant avec les plans visant à imposer des droits de douane sur des produits américains. « C’est un mauvais jour pour le commerce mondial. L’Union européenne ne peut pas rester sans réagir », a-t-il déclaré. « Il est totalement inacceptable qu’un pays impose des mesures unilatérales en matière de commerce mondial ».
S’exprimant lors d’un forum annuel de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques à Paris mercredi, le président français Emmanuel Macron a appelé les Etats-Unis et d’autres pays à « transformer » l’Organisation mondiale du commerce, contre laquelle l’administration Trump n’a cessé de fulminer.
Macron a cité l’expérience des années 1930 où l’imposition de tarifs américains a joué un rôle majeur dans l’exacerbation de la Grande Dépression, qui a finalement conduit à la Seconde Guerre mondiale. « Nous ne pouvons pas être les somnambules des temps modernes », a-t-il dit. « Il ne faut pas réagir aux dysfonctionnements avec le repli nationaliste parce que ces réponses approfondissent la crise et les déséquilibres mondiaux. »
Ces avertissements et les appels de dernière minute à l’administration Trump sont tombés dans l’oreille d’un sourd.
S’exprimant à la veille de l’annonce, le coordinateur de la coopération transatlantique de la chancelière allemande Angela Merkel, Peter Bayer, a souligné l’importance à long terme de la décision américaine. « L’Europe a maintenant compris qu’il y a un profond changement dans les relations transatlantiques et … la gravité de la situation », a-t-il déclaré.
Le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselhorn, a exprimé des sentiments similaires. « L’Europe n’était pas préparée à un changement de l’ordre mondial », a-t-il déclaré. « Nous étions toujours en faveur du libre-échange, avec les Américains. Maintenant, nous sommes dans un film totalement différent. »
Les réactions européennes découlent de la prise de conscience que l’imposition de tarifs, affectant des milliards de dollars de commerce, n’est que le début de mesures encore plus importantes.
La décision des États-Unis fait suite à leur décision de se retirer de l’Accord nucléaire iranien de 2015 et aux avertissements du secrétaire d’État Mike Pompeo selon lesquels les États-Unis ne toléreraient pas que les entreprises européennes poursuivent leurs échanges avec Téhéran au mépris des sanctions américaines.
Les États-Unis détiennent un pouvoir énorme dans ce domaine en raison de l’importance du marché américain et du rôle du dollar comme principale monnaie mondiale, ce qui leur permet d’imposer des sanctions financières paralysantes aux entreprises qui défient ses décrets.
En outre, l’administration Trump menace d’imposer des tarifs sur l’industrie automobile européenne. Le mois dernier, la Maison Blanche a ouvert une enquête en vertu de la législation déjà utilisée pour imposer les tarifs de l’acier et de l’aluminium pour des raisons de «sécurité nationale».
Un analyste cité par le Financial Times a averti que si Trump proposait quelque chose comme le tarif préférentiel de 25% sur les voitures allemandes, ce serait « la fin de la relation commerciale germano-américaine » car pas une seule voiture construite en Allemagne ne pourrait alors être vendue avec un profit.
La réaction des milieux d’affaires américains a été largement négative et l’indice Dow Jones a chuté de 250 points jeudi. Des inquiétudes ont été exprimées sur le fait que les tarifs auront un impact important sur les utilisateurs d’aluminium et d’acier importés et perturberont les chaînes d’approvisionnement mondiales.
La Chambre de commerce américaine a déclaré que les politiques commerciales de l’administration, y compris la possibilité de se retirer de l’ALENA, pourraient frapper la croissance américaine et menacer jusqu’à 2,6 millions d’emplois.
Le sentiment général de la grande entreprise était de soutenir des actions contre la Chine, en particulier sur ses mesures pour renforcer son développement de la haute technologie, sur fond d’accusations selon lesquelles Pékin « volait » la propriété intellectuelle américaine. Mais elle s’inquiète de ce que des mesures tarifaires contre des alliés des États-Unis empêchent la construction d’une coalition contre Pékin.
L’industrie sidérurgique, fortement soutenue par les syndicats, a fortement soutenu les tarifs. Le président de l’American Iron and Steel Association, Tom Gibson, a remercié Trump d’assurer «un secteur de l’acier américain solide, essentiel à notre sécurité nationale et économique».
Ross a écarté les critiques, disant que les tarifs ne s’élèveraient qu’à une fraction d’un cent sur une canette en aluminium et seulement à « une très petite fraction de 1% » pour l’économie globale.
Mais compte tenu des mesures supplémentaires en préparation, les conséquences des tarifs douaniers vont bien au-delà de leur impact immédiat. Il y a un sentiment croissant que tout le système des relations économiques de l’après-guerre, dans la construction desquelles les États-Unis ont joué un rôle central après les désastres des années 1930, est en train de se déchirer.
Le sénateur républicain Ben Sasse a qualifié les tarifs de « stupides », ce qui reflète le point de vue de nombreuses sections de l’establishment politique américain pour qui les mesures ne tiennent pas compte de la cible réelle. « L’Europe, le Canada et le Mexique ne sont pas la Chine, et vous ne traitez pas vos alliés de la même manière que vous traitez les adversaires », a-t-il dit. « Nous sommes déjà passés par là – le protectionnisme tous azimuts est en grande partie la raison pour laquelle l’Amérique a eu une Grande Dépression. Rendre à l’Amérique sa grandeur ne devrait pas signifier refaire l’Amérique de 1929. »
Si Sasse et d’autres favoriseraient bien une guerre commerciale «sélective» contre la Chine, les conséquences de telles actions s’avéreraient cependant tout aussi désastreuses en raison du caractère intégré de l’économie mondiale.