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Étrangers dans leur pays

La situation psychologique des citoyens américains est un problème particulièrement important, pour les USA mais aussi pour le reste du monde, notamment et particulièrement pour ce que nous nommons le bloc-BAO (Bloc Américano-Occidentaliste). Cette situation crisique des États-Unis prend une place de plus en plus puissante et significative dans l’actuelle crise civilisationnelle, de que nous désignons comme notre Grande Crise, qui touche directement ce bloc-BAO dans son ensemble. Ce jugement de l’importance désormais essentielle et centrale de la crise de l’américanisme et des États-Unis est justifié par le fait que c’est aux USA que la “guerre civile culturelle-sociétale”, ou “guerre civile de communication”, est de loin la plus intense et la plus “opérationnelle” selon deux catégories de faits :

1) d’une part parce qu’elle est très fortement ressentie selon des fractures culturelles et surtout sociétales transcrite dans des termes politiques tranchés et publiquement affichés, sinon proclamés d’une manière stridente et radicales, qui rend extrêmement difficile sinon impossible un recul de cette radicalité ;

2) d’autre part parce que la dictature incontestée du Politically Correct (PC) qui régnait depuis les années 1980 n’est plus désormais acceptée comme une règle générale ; parce que le PC est à la fois exprimé par ses partisans hautement et impérativement jusqu’à ne plus être une règle générale mais une affirmation partisane proclamée, et qu’il est à la fois le plus fortement le plus vocalement contesté et dénoncé comme une perversion culturelle et sociétale totalement partisane par ses adversaires, qui en rejettent absolument son statut objectif (et dictatorial) de règle valable objectivement.

Le résultat est bien cette “guerre civile-sociétale” exprimant dans une enquête statistique le malaise profond et la division psychologique qui rejaillissent en s’additionnant entre les deux côtés, dans une sensation touchant à peu près la moitié des personnes interrogées qui ne “se sentent plus chez elles dans leurs pays”. Les résultats de l’enquête sont dans le Washington Times du 1ernovembre 2018

« Le sentiment que la culture et le mode de vie de la nation ont radicalement changé est reflété dans une enquête PRRI “American Values” (Valeurs américaines) qui évaluait à la fois les opinions politiques et “l’aliénation culturelle”. Il en ressort que 47% des Américains déclarent maintenant que les choses ont tellement changé qu’ils se sentent “étrangers dans leur propre pays”. Une faible majorité (51%) n’est pas d’accordPrès de six républicains sur dix disent que les choses ont tellement changé qu’ils se sentent aliénés ; 42% des démocrates sont d’accord.

» Y avait-il une meilleure époque pour vivre ? Les Américains sont divisés sur le point de savoir si la culture et le mode de vie du pays ont changé pour le meilleur ou pour le pire depuis les années 50. Cinquante pour cent affirment que ce changement est bénéfique, tandis que 47 pour cent affirment que la culture s’est détériorée, selon le sondage. “Il existe des divisions partisanes importantes sur cette question: 60% des démocrates et seulement 34% des républicains croient que la culture et le mode de vie américains se sont améliorés depuis les années 1950; En revanche, 64% des républicains disent que les choses ont généralement empiré”, montre l’analyse du sondage.

» “Le sondage révèle que les partisans voient deux avenirs américains totalement différents. L’enquête montre que la vision des républicains pour l’avenir du pays est de plus en plus éloignée de la vision largement partagée par les démocrates et les indépendants”. »

Les résultats de cette enquête sont particulièrement impressionnants pour ce qu’ils disent de l’état de l’esprit d’un nombre très important de citoyens américain : il s’agit à la fois du constat d’un conflit de fracture du type “guerre civile” et d’une crise identitaire. On voit bien entendu les signes de cette situation chaque jour, dans les nombreux incidents qui émaillent la vie publique, d’une façon vertigineuse et accélérée depuis 2015. L’idée de “guerre civile” est désormais bien présente chez les commentateurs et chez les historiens. Il est caractéristique qu’elle soit présente dans le jugement d’un Niall Ferguson, historien anglais résidant et enseignant aux États-Unis, d’une tendance impérialiste anglo-saxonne et partisan d’une appréciation “impériale” des USA, et jusqu’ici défenseur du jugement de la solidité historique des USA impériaux.

Sputnikrapporte quelques éléments concernant la position très significative de Ferguson, à partir d’un article de l’historien de la fin de la semaine dernière : « L’élection présidentielle de 2020 pourrait provoquer la scission définitive de la société américaine et le début de la guerre civile, estime Niall Ferguson, professeur d’histoire à l’université Harvard dans un article publié par le quotidien The Sunday Times. Dans son article, l’enseignant note que des contradictions et un “conflit culturel” ont commencé, au cours des dernières années, à déchirer la société, ce qui est démontré par le segment américain de l’internet. “En plus, les informations publiées la semaine dernière sur l’envoi par poste d’engins explosifs artisanaux à une demi-douzaine de critiques les plus connus de Donald Trump, dont Hillary Clinton, Joe Biden, le milliardaire George Soros et l’acteur Robert De Niro, ouvrent la porte à de nouvelles prophéties au sujet de la Seconde guerre civile aux USA”»

Dans un autre article (Boston Globe), Ferguson s’explique plus précisément sur cette date de 2020 (élections présidentielles) ; l’intérêt de l’exposé est que l’historien expose bien volontiers qu’il reste optimiste, ou qu’il est normalement optimiste pour ce qui concerne la puissance et la cohésion des États-Unis, mais qu’il admet être de plus en plus troublé, et par les événements, et par les arguments de ses collègues qui sont de plus en plus nombreux à voir se concrétiser les éléments constitutifs d’une “seconde guerre civile”.

 « …Pourtant, quand mon collègue de la Hoover Institution, l’historien Victor Davis Hanson, avertit que nous sommes “au seuil d’une véritable guerre civile”, nous devons tous prêter attention à cette hypothèse. J’étudie aussi très sérieusement le travail de Peter Turchin, qui argumente depuis un certain temps que de nombreuses et très sérieuses indications montrent que l’instabilité politique (notamment les inégalités) devrait atteindre un paroxysme autour de l’élection de 2020, rendant les États-Unis “particulièrement vulnérables à des insurrections violentes”. […]

» L’analogie la plus troublante est celle que j’ai entendue la semaine dernière, entre l’élection présidentielle de 2020 et celle de 1860. […] L’élection de 1860 montra que les divisions à propos de l’esclavage étaient devenue insolubles. La victoire de Lincoln fut rapidement suivie de la sécession de sept États du Sud et de la formation de la Confédération. […] […]Quand je vous aurais dit quelle personne porta à mon attention l’analogie de 1860, vous comprendrez pourquoi je suis troublé. Chers lecteurs, c’était Steve Bannon. »

On voit que la situation crisique américaniste évolue de paroxysme en paroxysme, s’aggravant chaque jour, marquant de plus en plus profondément les psychologies individuelles et les positions psychologiques collectives ; et qu’elle évolue, cette situation crisique américaniste, en parallèle avec des situations crisiques assez similaires à l’intérieur du bloc-BAO (notamment en Europe, notamment en France où l’ex-ministre de l’Intérieur fait savoir rétrospectivement [interview de Collomb à Valeurs Actuelles] que l’on se dirige vers une sorte de “guerre civile” dans les 5 ans à venir). La situation crisique américaniste animée d’une dynamique extraordinairement puissante, accentuée par la représentation d’une “invasion” des migrants sur sa frontière Sud, tend à devenir, – décidément les USA sont leader en toutes choses, – un véritable “modèle crisique” pour ces autres pays du bloc-BAO, c’est-à-dire pour le bloc-BAO lui-même et par conséquent pour la contre-civilisation que ce bloc prétend (prétendait) imposer au monde.

On mesure ainsi d’autant mieux l’extraordinaire différence entre cette situation crisique interne et intense du bloc, et la situation extérieure dite de géopolitique où l’on ne parle que d’affrontements de puissance, et où la puissance US continue à vouloir s’affirmer comme hégémonique, y compris vis-à-vis de ses soi-disant “alliés” d’Europe. Ce que nous voyons en ce moment, c’est l’évolution de ce décalage stupéfiant, de plus en plus “en faveur” des situations crisiques intérieures, la situation hégémonique extérieure étant destinée à notre sens à être de plus en plus minée par cette désintégration interne. C’est une formidable vérité-de-situation qui s’affirme de plus en plus : entre la surpuissance (les derniers balbutiements hurlant de l’hégémonie mondiale) et l’autodestruction (la désintégration intérieure), on distingue de plus en plus nettement de quel côté se trouve la dynamique la plus irrésistible.

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