Trump a récemment annoncé que les États-Unis avaient l’intention de se retirer du traité FNI (Forces Nucléaires à portée intermédiaire), l’accord de destruction de cette catégorie d’armements conclu en décembre 1987 les États-Unis et l’URSS qui a permis de limiter la folie nucléaire en rendant les attaques nucléaires surprises moins probables. Il en a fait l’annonce de façon désinvolte alors qu’il montait à bord d’un hélicoptère. C’est compréhensible. Moi aussi, j’aime faire des déclarations importantes en montant sur une bicyclette, pour y ajouter un caractère dramatique.
Bolton, le gars de la sécurité nationale de Trump, s’est rendu à Moscou pour en discuter. Là, il a rencontré divers personnages locaux – Lavrov, le ministre des Affaires étrangères ; Choïgou, le ministre de la Défense – qui lui ont montré les différentes curiosités locales – le ministère des Affaires étrangères, le ministère de la Défense, puis ils se sont tous promenés sur la route en brique jaune pour aller voir le magicien au Kremlin.
Poutine s’est détendu récemment, avec même. une pointe d’humour. Assis en face de Bolton, les micros allumés et les caméras en marche, il a levé les yeux vers le plafond et a improvisé : «Les armoiries américaines représentent un aigle qui tient 13 flèches dans une griffe et une branche d’olivier avec 13 olives dans l’autre. Alors, où sont les olives ? L’aigle les a-t-il toutes mangées ? ». Poutine s’en est-il inquiété de façon fantasque ? Bolton, lui, a peut-être voulu se vanter que, malheureusement, l’aigle avait aussi mangé toutes les flèches (d’où le trou mystérieux de 21 000 milliards de dollars dans le budget de la défense américaine), mais il a vite réalisé que Trump pourrait en entendre parler, se mettre en colère et le virer pour ça. Alors il s’est mordu la langue. Le teint habituellement rosé de Bolton n’a pas permis de savoir s’il rougissait ou non. Voler à l’autre bout du monde pour voir ridiculiser votre emblème national est en effet un événement digne de faire rougir un représentant du gouvernement, mais avec Bolton, nous ne savons tout simplement pas s’il est un alcoolique à indice d’octane élevé, si son tempérament le rend naturellement apoplectique, s’il est juste embarrassé en permanence d’être John Bolton (je sais, je le serais aussi à sa place) ou tout ce qui précède en même temps. Je ne serais pas surpris si son pseudo des services secrets était “Mr.Pink”.
On ne sait pas si Bolton est capable ou non d’embarras, mais on sait qu’il est capable d’être profondément confus, probablement parce qu’il est âgé. Il a déclaré que les Chinois violaient le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire et a demandé à la Fédération de Russie de faire quelque chose à ce sujet. Les Russes ont dû lui expliquer patiemment que si les relations entre les Russes et le peuple frère chinois sont meilleures que jamais, la République populaire de Chine ne fait pas partie de la Fédération de Russie et qu’il devrait prendre des dispositions distinctes pour discuter directement avec les Chinois de leur non-respect d’un traité auquel ils ne sont pas liés. D’ailleurs, son point de confusion date vraiment : la dernière fois que la Russie et la Chine ont été unifiées, c’était dans les années 1360, sous les Khans mongols. Peut-être qu’il s’envolera ensuite pour la Chine, dans le cadre d’une tournée du type-“Eh mec, il est où mon Empire ?” Bien sûr, ramenons l’Empire mongol et mettons la Chine sous le parapluie nucléaire de la Russie. N’est-ce pas ce que tu veux, John ?
Poutine a également annoncé en public qu’il aimerait avoir une conversation approfondie avec Bolton concernant la maîtrise des armements nucléaires, sujet sur lequel Bolton est censé être un expert. J’interpréterais cela comme signifiant que Poutine voulait expliquer à Bolton, pour sa bonne compréhension personnelle, je suppose, certaines choses qu’il ne comprend clairement pas, nonobstant son « expertise ». Plus précisément, comment les déploiements d’armes nucléaires intermédiaires et à courte portée ont-ils fonctionné pour les États-Unis dans le passé ? Quelqu’un se souvient-il de ce qui s’est passé après que les États-Unis ont essayé d’en mettre en Turquie ? C’est vrai, la crise des missiles de Cuba, avec pour résultat que les États-Unis ont dû retirer leurs lanceurs de Turquie. Et comment cela s’est-il passé après que les États-Unis ont décidé de mettre des missiles Pershing II en Europe ? C’est vrai, la signature du traité que Trump vient de décider de commencer à violer, après de grandes manifestations en Europe et aux États-Unis. L’URSS n’a même pas eu besoin d’aller à Cuba pour contrer cette menace. Alors, quelle sorte de logique boltonienne à tête floue pourrait persuader quelqu’un que « cette fois-ci, ce serait différent » ?
Il existe un moyen très simple de préjuger de l’issue d’un conflit dans les relations internationales – ou d’une bagarre naissante à l’extérieur d’un bar, tard dans la nuit, le week-end : observer l’attitude des participants. Si l’une des parties est détendue et se tient calmement debout et l’autre tendue, hurlant et sautant, vous savez déjà à peu près qui va gagner et qui va perdre. Poutine et son équipe ont agi de façon assez détendue et confiante ces derniers temps, tandis que Trump et son équipe sont dans un état de surexcitation nerveuse.
Pour être absolument sûr que je n’invente pas cela, s’il vous plaît regarder en entier les deux heures et demie de discours de Poutine à la 15e conférence annuelle du Club Valdaï ainsi que l’un de ses 14 précédents. Dans le passé, il était beaucoup plus concentré et intense. Cette année, il était à l’aise, improvisant au sujet du hockey et s’inquiétant du fait qu’il devait bientôt s’envoler pour un autre rassemblement international interminable. De toute évidence, il n’a pas l’impression d’avoir beaucoup de soucis à se faire à l’approche de sa retraite en 2024, après près d’un quart de siècle à la barre nationale. Alors il laissera probablement un gentil gars nommé Dmitry prendre la relève, avec un minimum de drame.
Au terme de son dernier mandat, il peut presque entièrement se reposer sur ses lauriers. L’armée russe a été réarmée et testée au combat en Syrie, liquidant quelque 85 000 terroristes sur une période de trois ans. Les nouveaux systèmes d’armes russes, certains déjà déployés, d’autres en production, feront en sorte que les Américains ne rêveront plus jamais de lancer une première frappe nucléaire. Sous sa direction, l’économie russe a doublé à plusieurs reprises, a survécu aux sanctions occidentales et se développe régulièrement sur une nouvelle voie, un peu plus autarcique, avec ses nouveaux partenaires commerciaux, beaucoup plus amicaux. Le Trésor russe regorge de lingots d’or, il n’est pas grevé par la dette et le budget fédéral est en excédent. Les réserves d’énergie ne cessent de croître et le secteur des exportations agricoles établit de nouveaux records. Toutes les tentatives américaines d’isolement international de la Russie sont, comme Obama aurait pu le dire, « en lambeaux ». Le gouvernement russe s’affaire à mettre en œuvre les ordres spécifiques de Poutine pour augmenter l’espérance de vie et le niveau de vie des Russes ordinaires. Alors, pourquoi s’inquiéter ?
Trump, par contre, a de quoi s’inquiéter. Il mène des batailles commerciales avec la moitié du monde. Son gouvernement se noie dans la dette tout en faisant de son mieux pour ignorer la question des passifs futurs non capitalisés. Wall Street est à deux doigts d’anéantir tout ce que Trump pourrait prétendre avoir accompli en tant que président. Ses « alliés démocratiques », les Saoudiens, sont en train de découper des gens vivants dans leurs ambassades alors qu’il s’inquiète des ventes d’armes perdues et de la perte de quelque 1 000 milliards de dollars d’argent saoudien investi aux États-Unis. Son propre pays est en état de guerre civile froide qui pourrait facilement devenir chaude. Ses anciens alliés – la Turquie, l’Allemagne, la Corée du Sud, le Japon – rêvent de gazoducs russes ou attendent avec impatience que l’un d’eux soit achevé. (Le Japon est un cas particulièrement intéressant : sa dépendance à l’énergie nucléaire est presque terminée, et pour rester industrialisé, il aura besoin de gaz russe devant être livré via la Corée du Nord et la Corée du Sud.) L’armée américaine est équipée d’armes obsolètes et impuissantes (Tomahawks, Patriots, flotte de porte-avions) ou nouvelles mais inutilisables (F-35), subit une épidémie de suicides militaires et une pénurie de recrues suffisamment aptes à servir.
En ce qui concerne Poutine, l’armée américaine n’est même plus une menace, à tel point qu’elle ne peut plus opérer dans aucun espace aérien où des armes russes sont déployées. Oui, la probabilité que les États-Unis deviennent des « débilitants nucléaires » et attaquent la Russie n’est toujours pas nulle, mais à la conférence de Valdaï, Poutine a semblé détendu à ce sujet. Il a dit : « В случае чего мы попадём в рай, как мученики, они просто сдохнут, потому что они даже раскаяться не успеют »(« Dans le pire des cas, nous irons au ciel en martyrs, et ils mourront simplement [comme des chiens], parce qu’ils n’auront même pas le temps de se repentir. »). Je ne veux pas m’en prendre aux chiens, mais le russe a plusieurs mots pour « mourir » et celui que Poutine a utilisé en référence aux Américains (qui d’autre pourrait penser à attaquer la Russie ?) ne s’applique pas aux humains. Remarquez la supériorité morale inattaquable de cette position. La Russie ne menacera ni n’attaquera personne. Elle se contentera de rester les bras croisés regardant les États-Unis s’autodétruire sans rien faire de provocateur. Tout ce que la Russie a à faire, c’est de s’occuper de ses propres affaires intérieures et de continuer à agir comme un partenaire international fiable.
John Bolton et son maître Donald Trump ne peuvent prétendre à aucune supériorité morale. Leur principale préoccupation est que les anciens traités les empêchent d’être suffisamment bellicistes pour forcer les pays du monde entier à leur prêter encore plus d’argent. Leur inquiétude semble déplacée ; quelle partie de« mourir comme des chiens » ne comprennent-ils pas ? Compte tenu de leur manque de compréhension, leur position est tout simplement embarrassante. Étant donné le teint et la physionomie de Bolton – celle d’une pomme de terre roussâtre légèrement gelée sur laquelle un clown aurait collé une moustache – il est physiologiquement incapable d’exprimer sa gêne, alors peut-être a-t-il besoin d’un petit drapeau blanc à agiter ou d’un autocollant pour son front. Quoi qu’il en soit, souhaitons-lui bonne chance dans sa tentative, à la fois chimérique et courageuse, de reconstituer l’empire mongol.
DDE