Les gilets jaunes ont marqué une résurrection populaire et patriotique. Cette résurrection s’est faite au détriment d’un État autoritaire, dépensier et déconsidéré, et de ses hauts fonctionnaires, énarques alliés aux banquiers, ceux que Bernanos nommait les grands citoyens.
J’ai déjà évoqué la France contre les robots ou la Grande-peur des bien-pensants, si indispensable pour comprendre la disparition de la chrétienté puis du christianisme en France en particulier (et qu’on ne vienne pas contredire Bloy ou Bernanos…). Mais Bernanos perçoit la disparition de la France en tant que patrie, patrie dévorée par le monstre étatique. L’État moderne, « le plus froid des monstres froids », a tout bouffé en effet, patries, familles, races, peuples, culture, folklore, création, absolument tout, même les sexes. Tolstoï soulignait que l’enseignement de l’art à l’école était le moyen le meilleur d’en venir à bout. L’État crée le processus de dé-civilisation dont a parlé brillamment Hans Hoppe. Et il est inutile de parler d’État profond quand on voit ce qui se passe depuis des années ou même des siècles. De même il n’y a pas d’État-nation. L’État détruit la nation dans chaque pays européen par exemple et puis naturellement comme un monstrueux organisme il s’agrège au monstre totalitaire européen, puis au mondialiste.
Bernanos écrit ses Enfants humiliés au moment de 39-40, et lui qui a sagement jugé la guerre de quatorze, comprend cette fois que la France est victime d’un mal irréparable : l’étatisme, que voyaient surgir Poe, Tocqueville, Balzac ou bien Sorel, un autre chrétien nommé Chesterton (qui a vu aussi la verrue féministe apparaître). C’est ce que j’appelle la Fin de l’histoire, et c’est pourquoi nos gilets jaunes sont une énième resucée de vaine révolte contre l’étatisme ronflant et triomphant qui nous ruinera et nous remplacera dans sa chute retentissante (à moins qu’on ne préfère la guerre nucléaire contre la Russie pour faire plaisir aux militaires et aux hauts fonctionnaires).
Bernanos :
« Les français n’ont plus de patrie de puis qu’ils s’en font une idée claire et distincte, tirée de ‘Histoire, c’est-à-dire de l’ensemble des conjectures d’un certain nombre d’archivistes ou d’illuminés que s’efforcent d’accorder entre eux les spécialistes des manuels. »
J’ai étudié Kleist il y a peu. Ce dernier écrit dans ses Marionnettes :
« Je dis que je savais fort bien quels désordres produit la conscience dans la grâce naturelle de l’homme. Un jeune homme de ma connaissance avait, par une simple remarque, perdu pour ainsi dire sous mes yeux son innocence et jamais, dans la suite, n’en avait retrouvé le paradis, malgré tous les efforts imaginables. »
L’innocence est remplacée par la science infuse du fonctionnaire étatique, et l’histoire devient récit officiel, pas aventure vécue.
Bernanos :
« Ils observent leurs trésors avec les yeux de l’Etat, ils les apprécient selon la morale particulière aux conservateurs des musées… »
Les Français n’ont plus de patrie… cela veut dire que les Français ne sont plus auteurs, ils sont spectateurs – sauf quand on les envoie se faire massacrer pour rien, en 1871 comme en 1914 et en 1940. La patrie n’est plus vécue (sauf par les gilets jaunes), mais récitée – et on change les récits : le Français devient raciste, antisémite, sexiste, fasciste à travers les âge
Bernanos :
« On a substitué au sentiment de la patrie la notion juridique de l’Etat. Aucun homme de bon sens ne saurait traiter l’Etat en camarade. On a volé aux Français sinon la Patrie, du moins l’image qu’ils en avaient dans le cœur. »
Or le peuple a plus besoin que la bourgeoisie de la patrie. Bernanos écrit à ce sujet :
« On a volé leur patrie aux Français, on la leur a littéralement arrachée des mains, et si ce fait semble continuer à passer presque inaperçu des bourgeois, c’est qu’ils ont moins besoin que les bonnes gens d’une expérience concrète de la patrie, leur sensibilité est faite aux abstractions. »
Rappelons Taine sur ce bourgeois qui nous donne Pompidou, Chirac, Giscard, Hollande, le Macron (je reconnais en Mitterrand ou en de Gaulle un génie patriote, quelles que soient leurs bévues) :
« Le bourgeois est un être de formation récente, inconnu à l’antiquité, produit des grandes monarchies bien administrées, et, parmi toutes les espèces d’hommes que la société façonne, la moins capable d’exciter quelque intérêt. Car il est exclu de toutes les idées et de toutes les passions qui sont grandes, en France du moins où il a fleuri mieux qu’ailleurs. »
C’est dans son livre sur La Fontaine…
Bernanos persiste et signe dans son procès contre l’Etat moderne. C’est un voleur :
« On a volé leur patrie aux Français, je veux dire qu’on la leur a rendue méconnaissable. Elle n’évoque même plus pour eux l’idée d’honneur ou de justice – car l’Etat ne connaît ni honneur ni justice – elle a la face austère du Devoir, du Devoir absolu, de la Summa Lex, impitoyable aux pécheurs. »
Du coup : « La France ne ressemble plus aux Français, elle n’a ni leurs vertus ni leurs vices, ni aucun de ces défauts qui leur sont plus chers que leurs vices ou leurs vertus, elle ne parle même pas leur langage, elle ne dit rien, elle est l’idole muette d’un peuple bavard. L’État s’est substitué à la Patrie comme l’administration cléricale se serait substituée, depuis longtemps – si Dieu n’y mettait ordre – à la moribonde Chrétienté. »
Après il tape sur le maudit seizième siècle et sur les hellénistes et latinistes, un peu comme Guénon :
« Et les courtiers de ce troc, les légistes crasseux de la Renaissance, barbouillés de grec et de latin, ont mené l’opération avec toute la clairvoyance de la haine. Car ils haïssaient l’ancienne France, ils dédaignaient son idiome, ils méprisaient ses mœurs, ses arts, sa foi, ils l’eussent donnée tout entière pour la moindre des républiques transalpines – la France moderne a été faite par des gens qui tenaient l’ancienne en mépris ».
Il voyait bien le problème de notre classe dirigeante dont Macron n’est que l’énième et superfétatoire avatar :
« Je dis que la classe dirigeante a perdu peu à peu le sens de l’orientation française, ce qui est tout de même bien fâcheux pour une classe qui se prétend dirigeante. »
Bernanos ne se faisait guère d’illusions :
« Je n’ai pas peur de la solitude dans l’espace, mais j’ai bien peur de l’exil dans le temps. »
Je suis bien d’accord, moi qui ne suis pas de mèche avec ces temps méprisables.
DDE. Les Carnets de de Nicolas Bonnal 16/12:2018