Khaled Nezzar à AP: « Les rues algériennes démontrent tous les jours le degré de maturité des Algériens, tous âges et toutes catégories sociales confondus. Le mouvement jailli des profondeurs du peuple ne s’arrêtera pas tant qu’il ne sera pas fait droit à ses demandes claires et simples : la naissance d’une république où la voix des citoyens sera respectée sans fraude ni manipulation et une justice indépendante qui dira la loi sans injonction, ni pression. La transparence des urnes et l’application sereine et équitable de la loi sont le socle de L’Etat de droit.
Je sais ce que j’encours en écrivant ces mots. Je suis, selon ce qui se dit çà et là, l’homme qui a «refusé» le verdict des urnes et a fait «avorter» une révolution démocratique et sociale en janvier 1992. J’assume d’avoir répondu avec le gouvernement et le Haut Conseil de sécurité à l’appel de l’immense majorité des Algériens pour éviter à l’Algérie l’instauration d’un État théocratique. J’assume donc de m’être opposé à un mouvement rétrograde. C’est clair, j’assume !
Avant d’aller plus loin, j’aimerais rappeler qu’une fois les choses clarifiées en ce qui concerne l’intégrisme et le pays mis en état de résister à ses entreprises violentes, j’ai quitté volontairement le pouvoir, y compris mes fonctions de ministre de la Défense. J’ai donné ainsi la preuve que toutes mes actions n’étaient guidées que par l’intérêt de mon pays et non pour préserver des acquis ou des privilèges.
En ce qui concerne Abdelaziz Bouteflika, j’ai été le premier à dénoncer sa gouvernance. J’ai écrit un livre en 2003 pour fustiger le régionalisme, la corruption, la folie des grandeurs, la vassalisation de toutes les institutions du pays, l’achat des consciences par cet homme qu’un accident de l’histoire a placé dans la proximité de feu le président Boumediene et qui a abusé de la bonne foi de ceux qui ont placé en lui leur confiance en 1999. Ce livre sera très prochainement réédité dans les deux langues pour l’édification de beaucoup.
Le résultat de vingt années de faits accomplis et de passé-outre à toutes les règles de bonne gestion, d’aveuglement, d’irresponsabilité et d’addiction maladive au pouvoir a fragilisé le pays.
Le clan, prisonnier de ses phantasmes et s’adonnant à tous les excès et à toutes les provocations, n’a jamais imaginé, jusqu’à la chute finale, que les Algériens, qu’il pensait définitivement anesthésiés, pouvaient se dresser comme un seul homme du nord au sud et de l’est à l’ouest pour dire «assez !».
Une coterie faisant assaut de flagorneries a voulu, sur commande, imposer un cinquième mandat pour un vieil homme cloué sur une chaise roulante. Les courtisans en ont fait une sorte de demi-dieu garant providentiel de la stabilité du pays. C’en était trop pour les Algériens. On connaît la suite.
Jusqu’à la dernière minute, le porte-parole du Président – son frère Saïd – s’est accroché au pouvoir, multipliant les tentatives de diversion, les manœuvres, les manigances désespérées pour garder la haute main sur les affaires du pays.
Pour l’histoire, j’aimerais apporter un témoignage pour dire jusqu’où était décidé à aller cet homme qui ne voulait pas comprendre, qui ne voulait pas imaginer, que le rideau était définitivement tombé.
Je n’ai jamais rencontré Saïd Bouteflika, l’hologramme du Président, excepté, brièvement, une fois au cimetière de Ben Aknoun, à l’occasion de l’enterrement de feu le général Boustila. La discussion – en aparté – avait porté sur la procédure ouverte contre moi par les juges suisses. Tant que j’étais le seul concerné dans cette affaire, j’ai fait face depuis maintenant plus de huit ans. Du moment que les choses prenaient une autre tournure et touchaient l’ensemble de la hiérarchie de l’ANP avec des commissions rogatoires qui prétendent enquêter sur toute l’institution militaire, je devais en référer aux hautes autorités de l’Etat. J’ai demandé à Saïd Bouteflika, au cours de cette rencontre du cimetière, de remettre une lettre au président de la République pour l’informer du glissement de la procédure.
Poursuivi désormais es qualité, en tant qu’ancien ministre de la Défense, sachant que des listes de dignitaires militaires sont établies, prélude à de futures inculpations, et que des enquêtes portées par des commissions rogatoires sont parvenues en Algérie et qu’elles ciblent directement l’institution militaire dans son ensemble, je me devais de saisir le président de la République.
C’est donc la seule fois, et pour cette affaire suisse précisément, que j’ai rencontré Saïd Bouteflika, avant les deux autres contacts, à son initiative, dont je vais parler maintenant.
Le 7 mars 2019, j’ai reçu un appel émanant de lui par l’intermédiaire d’un ami. Il voulait me voir. Après quelques moments d’hésitation, j’ai décidé d’accepter. Nous nous sommes donc vus. L’homme était visiblement dans le désarroi. Il voulait connaître mon opinion sur ce qui se passait dans le pays et sur ce qu’il pouvait entreprendre pour faire face à la contestation populaire.
Je lui dis : «Étant donné que le peuple ne veut pas d’un cinquième mandat, qu’il veut aller à une deuxième République et qu’il rejette les membres de la classe politique en charge actuellement de responsabilités, j’estime qu’il faut répondre à ses demandes. Je vous suggère d’étudier les deux propositions suivantes :
La première proposition :
– Prendre comme base de travail la lettre du Président qui parle de conférence nationale, la compléter en précisant les délais quant à sa durée de vie.
– Donner la date exacte du départ du Président qui ne devrait pas excéder 6 à 9 mois.
– Remplacer l’équipe gouvernementale actuelle par un gouvernement de technocrates.
Inconvénients de cette première proposition : la population pourrait la comprendre comme une tentative de passage en force, de même qu’elle pourrait être rejetée par les autres acteurs politiques comme pour les deux premières lettres.
La seconde proposition, la plus raisonnable :
– Que le Président se retire soit par démission, soit par invalidation par le Conseil constitutionnel.
Parallèlement :
– Désignation d’un gouvernement de technocrates.
– Création de plusieurs commissions indépendantes qui seraient compétentes pour préparer les futures élections et mettraient en place les instruments pour aller vers la deuxième République.
Je suggérais également à Saïd la démission du président du Conseil constitutionnel et ceux des deux chambres du Parlement. Le nouveau président constitutionnel assurerait la vacance du président de la République et légiférerait par ordonnances.
Inconvénient : une maîtrise moins aisée du processus du changement.
Avantage : cette solution aurait toutes les chances d’être acceptée par l’opinion publique du moment que la décision serait entre les mains d’une instance de transition crédible parce qu’indépendante.
Saïd Bouteflika rejeta d’emblée cette seconde proposition, la trouvant, à son sens, «dangereuse pour eux». A la question : «Et si cette énième lettre était rejetée, que feriez-vous ?» Il me répondit : «Ce sera l’état d’urgence ou l’état de siège !» J’étais surpris par tant d’inconscience. Je lui répondis : «Si Saïd, prenez garde, les manifestations sont pacifiques, vous ne pouvez en aucun cas agir de cette manière !» A cet instant, je me suis rendu compte qu’il se comportait comme le seul décideur et que le Président en titre était totalement écarté.
Avant de le quitter, j’ajoutai : «La balle est encore dans votre camp. Surtout, ne perdez pas de temps, le mouvement est en train de faire boule de neige, bientôt il sera trop tard !»
Les jours suivants, ayant eu quelques échos de ce qu’il tramait, j’ai compris qu’il avait décidé de n’en faire qu’à sa tête. La solution de sagesse que je lui avais proposée ne lui convenait donc pas.
Le 30 mars, vers 17 heures, nouvelle tentative du même Saïd Bouteflika pour me joindre, cette fois-ci au téléphone. Après m’être demandé s’il était encore utile de lui répondre, j’ai finalement décidé d’écouter ce qu’il avait à me dire. Au son de sa voix, j’ai compris qu’il était paniqué.
Il me dit que le vice-ministre de la Défense et chef d’état-major de l’ANP était en réunion avec des commandants des forces et qu’il pouvait agir contre Zéralda d’un instant à l’autre. Il voulait savoir s’il n’était pas temps de destituer le chef d’état-major.
Je l’en dissuadai fortement au motif qu’il serait responsable de la dislocation de l’armée en cette période critique.
Je suis revenu à la suggestion déjà avancée par moi lors de notre précédente rencontre, à savoir l’application de l’article 7 réclamé par le hirak et la désignation de membres de la société civile représentatifs pour assurer la transition et, ensuite, faire savoir immédiatement après que le Président se retirait.
La balle était de nouveau dans le clan des Bouteflika. Je pensais qu’ils allaient agir rapidement, d’autant que Saïd – il le disait – craignait d’être arrêté à tout moment.
La mise en pratique d’une telle proposition nous aurait sortis de la crise. Ils n’ont pas voulu le faire.
Les calomnies, la rumeur sont à la mode en ces temps de toutes les licences. La désinformation remplit les réseaux sociaux. Nul n’est à l’abri.
Je suis un militaire de carrière. Je sais que le voltigeur de tête attire les feux croisés des tranchées en face. Les tirs n’ont pas manqué. Ils m’ont atteint, sans me toucher. J’ai ma conscience pour moi.
Je n’ai que mépris pour ces montages qui ont été longtemps l’affaire du MAOL, et depuis qu’Internet est devenu une arme de destruction massive, l’instrument des officines du Makhzen et de certains milieux de l’Hexagone agissant par la calomnie et le mensonge derrière des camouflages qui ne trompent personne. Les autres, ceux auxquels je me suis opposé au nom des valeurs que je partage avec des millions d’Algériens, font chorus. Ceux-là ne se tairont jamais. Dans le chaos ils prospèrent. Par le chaos et les divisions ils espèrent aboutir. Il faut rester vigilant !
Je subis depuis 20 ans, devant des juges étrangers, leurs assauts répétés et furieux. J’assume et je fais face avec l’aide de quelques compagnons, sans céder un seul pouce de terrain.
Hier, dans l’armée, j’ai lutté contre la corruption. J’ai écrit et rendu public ce que j’ai tenté de faire et ce que j’ai réussi à faire pour mettre hors d’état de nuire les corrompus qui occupaient de grands postes de responsabilité au sein de l’institution militaire. C’est moi qui ai porté à la connaissance de l’ex-DRS les prévarications de l’ancien ministre de l’Energie Chakib Khelil, en donnant des précisions et des détails. J’ai fait de même pour Orascom dont les agissements ont coûté très cher au pays.
Je n’ai jamais utilisé mon pouvoir pour obtenir un quelconque passe-droit, ni le moindre privilège. Rendu à la vie civile, j’ai créé une entreprise à la sueur de mon front. Je n’ai aucune dette à l’égard de qui que ce soit : banques, administrations fiscales ou personne privée. Je n’ai aucun marché avec l’Etat. Que celui qui soutient le contraire s’avance. La justice tranchera.
Leurs sponsors trouvent constamment de nouveaux moyens pour agir.
La dernière en date de ces manipulations est un article de Nicolas Beau alléguant que mon fils aurait blanchi 200 millions de dollars en Espagne. L’article du 26 avril est un cas d’école de ce que peut commettre un mercenaire au service du Makhzen. Le site Algeriepatriotique, qui renaît pour le service de l’Algérie, ne manquera pas de répondre, point par point, aux élucubrations de Nicolas Beau : le prétendu blanchiment de millions de dollars par mon fils, la soi-disant appropriation des fréquences appartenant aux services algériens, la présumée illégalité des attributions et les imaginaires interventions des hommes du chef d’état-major pour imposer la fermeture de site Algeriepatriotique. Une brochette de mensonges.
Nicolas Beau et le site Mondafrique devront en apporter la preuve devant les tribunaux. »
Khaled Nezzar