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L’Algérie, pivot stratégique à-la-russe

Ces derniers mois et même ces dernières années, l’Algérie s’est essentiellement signalée du fait de ses problèmes intérieurs. La France a d’ailleurs pris l’habitude de considérer ce pays de ce seul point de vue en y intégrant des relations France-Algérie marquées par l’affectivisme et une incroyable compétition de culpabilisation et de repentance plongeant au cœur des pathologies psychologiques qui sont la marque très caractéristique de cette étrange époque. De ce fait, la France, qui s’affiche “grande puissance méditerranéenne”, n’a aucune politique stratégique fondamentale avec l’Algérie, qui est l’un des pays méditerranéens les plus importants, et certainement le pays musulman qui joue un rôle stratégique pivot dans la Méditerranée occidentale et entre l’Afrique et l’Europe. Par contre, la Russie, elle, a certainement une politique stratégique vis-à-vis de l’Algérie.

Les Russes font de plus en plus leur la fameuse politique extérieure de l’armement (grâce à l’armement) selon la notion développée par la France gaulliste dans les années 1960, c’est-à-dire sans faire peser sur les acheteurs les contraintes qu’imposent les USA à leurs clients. Les Russes montrent ce qui semble bien être une politique stratégique avec le marché qu’ils ont passé avec l’Algérie, qui est constitué d’une triple commande de trois types d’avions les plus avancés de l’arsenal russe, et les plus aptes à transformer le facteur tactique de l’aviation de combat en déploiement stratégique.

De ce point de vue de l’importance qualitative des matériels, la commande algérienne, qui est annoncée quelques jours après l’élection présidentielle, offre un autre éclairage sur la crise algérienne en cours, une éclairage plus marqué par la situation de la politique extérieure que par les événements intérieurs comme elle l’est en général.

L’Algérie annonce donc trois commandes :

• 14 Su-34, avion d’attaque au sol de pénétration profonde, dont les performances en autonomie et en capacités électroniques font un avion de combat tactique à la limite du stratégique.
• 14 Su-35, les chasseurs de supériorité aérienne les plus avancés de la Russie, qui sont à classer dans la première catégorie au monde de ce type d’avion de combat ;
• 14 Su-57, le nouvel avion de combat russe, employant des technologies furtives comme les F-22 et F-35 US, et classé comme avion de combat de la 5ème génération.

Ci-dessous, Spoutnik présente la commande algérienne et divers commentaires d’experts algériens. On voit que toutes les dimensions stratégiques sont prises en compte pour expliquer ces commandes qualitativement très importantes : que ce soit la situation à l’Est (le ministre libyen de l’intérieur après sa rencontre avec le ministre de l’intérieur algérien le 26 décembre : « Si Tripoli tombe [dans les mains du maréchal Khalifa Haftar], Tunis et Alger tomberont à leur tour ») ; que ce soit la situation au Sud  (dans le Sahel avec les troubles en cours) ; mais également et de manière beaucoup plus intéressante du point de vue politique dans cette politique stratégique, que ce soit la situation en Méditerranée et au Nord, en Europe dans la zone OTAN.

Ainsi, les Algériens semblent justifier l’achat du Su-57 par l’équipement de F-35 LightningII, avion de 5ème génération à technologies furtives, de pays riverains du Nord, comme l’Italie principalement, en tant que membre de l’OTAN. (Avec l’argument complémentaire dans ce cas de la possession par Israël des mêmes F-35 justifiant l’achat de Su-57.) On observera avec intérêt cette montée de l’escalade dans l’équilibre des forces, à partir d’avions, et essentiellement du F-35 dont on est toujours en train de se demander quel sont son intérêt et, encore plus, ou encore moins, son efficacité. Mais peu importe : aujourd’hui, la stratégie se règle elle aussi par la communication, le plus souvent sans rapport avec la réalité dont il ne reste que quelques débris épars, et ainsi la situation stratégique évolue-t-elle de façon radicale à partir de narrative diverses. Par conséquent et selon la formule consacrée, – quoi qu’il en soit, il s’agit sans aucun doute d’une perspective particulièrement importante que l’Algérie puisse se mettre en position d’équilibrer une soi-disant puissance aérienne de l’OTAN, dans le chef de l’Italie pourtant bien pacifique, avec ses JSF.

Dans ce cas, il y a stratégie-bouffe comme il y a tragédie-bouffe, c’est-à-dire un véritable déplacement stratégique pour des arguments relevant en général du facteur bouffe si important dans notre époque. (Le F-35, facteur/acteur-bouffe.) Quoi qu’il en soit (suite), le résultat sera sans aucun doute passionnant de retrouver l’Algérie en position de défiance vis-à-vis du poids opérationnel supposée de l’OTAN, alors qu’elle se trouve fermement avec la Tunisie au côté de la Turquie contre le maréchal Haftar, – la Turquie, pays de l’OTAN également, mais sans doute privé de F-35, peut-être bien acquéreur un jour de Su-57.

Décidément, stratégie-bouffe pour qui observe cette scène dans tous ses composants mais néanmoins stratégie, quoi qu’on en veuille. Si l’Algérie s’affirme comme un pôle neutre de stabilisation stratégique, un des experts (l’ex-général Larbi Chérif) interrogés dans le texte de Kamal Louadj, de Spoutnik, ce 28 décembre 2019, explique l’importance stratégique de ces acquisitions de matériels (russes) notamment par ce constat : « Car bien que le projet américain du Grand Moyen-Orient ait échoué pour l’instant, rien ne dit qu’il ne reviendrait pas sous une autre appellation »… On voit d’où vient le désordre…

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Révolution : des Su-57 algériens 

L’Algérie a conclu trois contrats pour l’achat de Su-57, Su-34 et Su-35 avec 14 appareils pour chaque modèle, a indiqué le site algérien Menadefense. Deux experts algériens des questions sécuritaires et de défense ont commenté à Spoutnik l’importance stratégique de ces nouvelles acquisitions.

L’Algérie va acquérir de la part de la Russie des chasseurs furtifs Su-57, devenant ainsi le premier client à qui le constructeur Sukhoi exportera ce fleuron de l’aviation de combat de 5e génération, indique le site algérien d’information militaire Menadefense. Par ailleurs, le média précise que l’Armée de l’air algérienne a également signé deux autres contrats portant sur l’achat de bombardiers de type Su-34, dont elle est le premier client également, et des appareils de domination aérienne Su-35.

Ainsi, Menadefense indique que la décision d’acquérir 14 Su-57 a été prise l’été dernier après la visite d’une délégation algérienne au salon aéronautique MAKS de Moscou. Selon lui, lors de cette visite, la délégation algérienne conduite par le général major Hamid Boumaïza, commandant de l’Armée de l’air, a examiné dans les plus infimes détails le chasseur en question. Le général Boumaïza, ancien pilote de MiG-29, a même été un des rares étrangers à essayer l’avion furtif russe sur simulateur, ajoute la même source, précisant que ces accords devraient être achevés en 2025.

Par ailleurs, le média indique que les Forces aériennes algériennes ont conclu deux autres contrats relatifs à l’acquisition de 14 bombardiers à long rayon d’action Su-34 et de 14 appareils de supériorité aérienne Su-35. Deux autres contrats en option pour l’achat de Su-34 et Su-35 avec 14 appareils chacun également ont été signés dans le but de remplacer les avions qui seront retirés de la flotte de l’Armée de l’air dans les prochaines années, précise la même source.

En 2025, l’Armée de l’air algérienne sera en mesure de déployer deux escadrons de Su-30MKA, un autre de Su-57, un de Su-35 et un de MiG-29M2. Elle aura également en sa possession deux escadrons de Su-24 modernisés et un de Su-34 pour la flotte de bombardiers, rappelle le média, soulignant que la formation des pilotes se fera avec des Yak-130.

Quel impact stratégique ?

Dans un entretien accordé à Spoutnik, Akram Kharief, expert des questions sécuritaires et de défense et rédacteur en chef et éditeur du site Menadefense, a affirmé que c’est «l’apparition de F-35 dans la flotte italienne qui a motivé la prise de décision rapide de l’Algérie».

L’acquisition du Su-57 par l’Algérie «est une révolution sur le flanc ouest de la Méditerranée», a-t-il déclaré, précisant que «c’est la première fois qu’un avion furtif de 5e génération sera introduit en Afrique». «C’est inédit également en Méditerranée, car dans ce bassin il n’y a qu’Israël et l’Italie qui disposent d’avions furtifs en l’occurrence le F-35», a-t-il ajouté, précisant que «même la France n’en dispose pas».

Et d’ajouter, M.Kharief a expliqué que «l’importance stratégique du Su-34 réside dans le fait que cet avion est un bombardier à long rayon d’action capable de mener des opérations à des milliers de kilomètres, ce qui étend les possibilités offensives de l’Armée de l’air algérienne». «Le Su-34 est également un avion qui est capable de se défendre lui-même et qui n’a pas besoin d’être accompagné», a-t-il indiqué, rappelant «qu’il a fait ses preuves dans la guerre en Syrie».

De son côté, l’ex-colonel des services de renseignement algériens, Abdelhamid Larbi Chérif, a expliqué au micro de Sputnik que «la Méditerranée, en particulier son flanc ouest, a toujours été un espace stratégique de concurrence entre toutes les grandes puissances mondiales». «L’insécurité qui s’est installée au Maghreb et au Sahel après la chute en 2011 du régime du guide libyen Mouammar Kadhafi est une source d’inquiétude qui est prise très au sérieux par les autorités civiles et militaires algériennes», a-t-il affirmé, indiquant que «ceci s’ajoutait au redéploiement des organisations terroristes au Maghreb et au Sahel après leur défaite en Syrie et en Irak».

Dans le même sens, l’ex-haut gradé a pointé «l’émergence de l’importance économique de l’Afrique qui suscite les convoitises de beaucoup de puissances, notamment les ex-colonisatrices». «Pour s’en convaincre il n’y a qu’à voir les déploiements militaires étrangers au Mali, au Niger et ailleurs en Afrique», a-t-il souligné.

Partant de ce constat, M. Larbi Chérif a expliqué que «l’Algérie qui ne participe à aucune alliance militaire entend par l’acquisition de ce genre d’armements, comme les Su-57, les Su-34 et les systèmes de défense antiaérienne tels que les S-300, maintenir l’équilibre militaire à même de lui permettre de défendre son intégrité territoriale et ses intérêts vitaux». «Car bien que le projet américain du Grand Moyen-Orient ait échoué pour l’instant, rien ne dit qu’il ne reviendrait pas sous une autre appellation», a-t-il conclu.

Kamal Louadj

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