Il y a dix ans, – fixons cela pour avoir un chiffre rond, – Saakachvili (dit Misha) était le président de la Géorgie, le « darling« des USA, la pointe avancée de la flèche de l’avant-garde de ce qui deviendrait le progressisme-sociétal antirussie, l’enfant-prodige et prodigue de la “révolution de couleur” par excellence que fut la prise du pouvoir en Géorgie comme une éclosion magnifique de la “révolution des roses”. Saakachvili n’était pas encore trop gras mais il mangeait déjà avec appétit à nombre de râteliers et, surtout, écoutant les conseils éclairés de ses amis » neocons », il préparait avec zèle un plan de reconquête de l’Ossétie du Sud qui lui permettrait, en passant, de ficher une rouste mémorable à la pauvre armée russe brinquebalant des restes de l’Armée Rouge. Ainsi deviendrait-il le grand homme du bloc de l’Est à l’intérieur du bloc-BAO préparant la chute de Poutine & Cie pour le compte des amis de Washington D.C. et de Bruxelles-UE. On sait ce qu’il advint lors du très-court conflit de Géorgie, en août 2008, où Saakachvili dut même piteusement fuir le front après une visite audacieuse à ses troupes en déroute devant l’avancée de l’armée russe.
Depuis cette aventure, l’étoile de Saakachvili n’a cessé de pâlir à mesure qu’il grossissait, jusqu’à le mettre en danger dans son propre pays, accusé de corruption et de divers autres menus écarts (dont des interrogatoires à la torture auxquels il aurait prêté une main ferme, selon le témoignage d’une vidéo) ; lui-même ayant dû, entretemps, abandonner sa fonction de président des suites de la pratique courante, même en Géorgie, des élections générales. Pour échapper à la prison, Saakachvili quitta donc la Géorgie. Par un tour de passepasse dont il avait encore le secret, Saakachvili se retrouva citoyen ukrainien après avoir soutenu sur un rythme vociférant (beaucoup de passages à la TV ukrainienne) la révolution du Maidan et il obtint en 2015 un poste du gouverneur du district d’Odessa. Personne n’a vraiment compris ni comment, ni pourquoi eut lieu cette importante nomination, d’autant qu’il devint rapidement un opposant au pouvoir central en s’instituant procureur des nombreuses corruptions qu’il identifiait dans les élites politiques ukrainiennes. Cette voie révolutionnaire fut rapidement interrompue par une rupture brutale avec Porochenko, le président-chocolat de l’Ukraine-Maidan installé à Kiev-la-folle. Saakachvili perdit, semble-t-il, sa nationalité ukrainienne sur une action énergique de Porochenko, tandis qu’il se retrouvait en Pologne, menant toujours des activités étranges. Récemment, les autorités polonaises ont décidé son expulsion, Saakachvili voulant rentrer en Ukraine mais le gouvernement ukrainien semblant alors se dresser pour s’opposer à son retour… Ainsi en vient-on à Saakachvili-SDF…
Ici, on interrompt le récit de ses pérégrinations parce qu’on ne sait plus très bien où il en est, sinon qu’il a peut-être forcé illégalement son entrée en Ukraine, soutenu par quelques partisans de fortune, dont notamment Timochenko, autre rose fanée de la “révolutions de couleur” ukrainienne, également sans emploi mais toujours citoyenne ukrainienne et politicienne en activités diverses. (On l’aperçoit sur les photos du jour, avec son habituelle chevelure en tresses enroulées, derrière une clôture qui vient d’être ouverte à la frontière, tandis que Saakachvili annonce avec de grands gestes de tribun son retour sur la terre temporaire de ses ancêtres adoptifs.)
C’est à ce point que RT, qui n’y comprend pas grand’chose non plus, a interviewé (le 11 septembre 2017) le journaliste britannique Martin Summers, dont les réponses ont l’avantage de montrer que cette incertitude et cette confusion semblent assez répandues… Les réponses de Summers ont l’avantage de nous donner une description des pérégrinations d’un clown, dont Summers nous rappelle qu’il peut être “dangereux”, et plus généralement la description d’une Ukraine plongée dans un désordre devenu la nature, la structure même de ce pays. On en serait jusqu’à presque dire que l’Ukraine est dans un désordre si grand qu’on ne peut plus prévoir son effondrement, parce qu’un tel désordre ne laisse plus grand’chose de cohérent qui puisse, en s’effondrant, permettre un effondrement. Summers qualifie la situation dans ce pays d’“opaque” (« The politics in current Ukraine are very opaque ») et il est bien obligé de terminer certaines de ses réponses par des questions qu’il adresse à son intervieweur.
RT: « What do you think happened between the current Ukrainian leadership and Saakashvili? Has he fallen out of Poroshenko’s favor, and why? »
Martin Summers: « …They don’t get on at all, and [Saakashvili] lost his citizenship. It is hard to see why he fell out. He claimed it was corruption going on. He was being blocked by the government in Kiev. It is hard to know who is right and who is wrong about that. It is probably the worst corruption going on. Saakashvili himself is wanted for corruption in Georgia, as we know. Of course, the danger of him coming back like this is that the Ukrainian authorities, who’ve fallen out with him, might extradite him back to Georgia to face trial there. So he is taking a bit of a risk by trying to come back into the country. They are obviously not on the same page at the moment.
» The politics in current Ukraine are very opaque. You’ve got a lot of oligarchs of various kinds jostling for position. The economy itself is in a terrible state. They don’t know what to do about it. The population has not had much joy from this revolution – let’s put it that way. »
RT: « How did it happen that both Poroshenko and Saakashvili, being two US darlings, are now at loggerheads? In 2014 Saakashvili supported the Maidan revolution that brought Poroshenko to power. »
Martin Summers: « US darlings can fall out with each other. It is may be that the US has decided that Poroshenko is going to be thrown under the bus and Saakashvili is being used as a pawn to try and bring that about. Saakashvili has got a track record for being a loose cannon in his own right anyway. People may remember him eating his tie on television in Georgia when he started the war in Ossetia. He is a bit of a dangerous clown. »
RT: « What do you make of Saakashvili’s personality, given that after being a resident of one country, he gave up his native citizenship in favor of another? Yet now he’s left without any? »
Martin Summers: « He lost his Georgian citizenship, he lost his Ukrainian citizenship. If he comes back in Ukraine, he might be extradited to Georgia. Or he may just have to go back Poland and hang around there in a stateless way. I don’t know how this is going to play out. It’s all a game of cat and mouse, isn’t it? »
RT: « How was it even possible that Saakashvili was given such an important role in Ukraine? What does it say about the Ukrainian state of affairs in the recent years? »
Martin Summers: « It is very odd that he played such a big role in Ukrainian politics since he isn’t Ukrainian and had been given the governorship of the Odessa, which is a key region, especially since it has got a large Russian population. He was parachuted in by the Western powers. I think what is going on – it just shows in what disarray Ukrainian politics are. The revolution is turning incredibly sour – nobody really knows what to do next. The economy is in free fall, they are not going to be joining the EU anytime soon. They are talking about joining NATO – but all that will do is potentially spark further war…The government in Kiev is very weak. The population is very unhappy. The war has been a failure in every possible way you can imagine. I don’t see a very good future for Ukraine, unless there is a change in the geopolitical situation, which allows the situations to stabilize so their Russian neighbors and their Western neighbors can cooperate better, so they can cooperate better. But I am not holding my breath. »
L’intérêt de cette intervention autant que des mésaventures de Saakachvili à ce moment crucial où il est à cheval sur la frontière, partant à la reconquête de l’Ukraine, ou bien encore disparu vers un autre pays, est de nous donner un concentré de l’effet des interventions du bloc-BAO dans le registre des “révolutions de couleur”, dans les ex-territoires de l’URSS devenus indépendants. Ces leçons valent tant au niveau du personnel utilisé, – un Saakachvili valant bien autant qu’un Porochenko ou qu’une Timochenko, – qu’à celui des situations installées dans ces pays, – l’“opacité” régnant dans le désordre confus et insaisissable de l’Ukraine conduisant au paradoxe d’un pays quasiment paralysé par ses propres mouvements incohérents, par son espèce de dissolution par la désintégration complète de ses structures.
Les “marionnettes”, les darlings du bloc-BAO sont donc passées du stade initial de la marionnette classique telle qu’on la conçoit, en bon état de marche et prompte à appliquer les consignes sans rechigner ni y mettre son grain de sel ; au stade second, dans une situation dégradée par rapport à ce qu’en attendaient ses opérateurs et “parrains” si prompts à faire de leurs illusions des prospectives, où la marionnette encore en bon usage et opérationnelle prend ses aises par rapport à ces mêmes opérateurs et “parrains” ; au troisième stade, sans doute ultime où, n’ayant plus aucun intérêt pour personne, n’étant évidemment pas parvenues à se fabriquer une sorte de simulacre de légitimité, les marionnettes sont conduites à des querelles et des affrontements “opaques” entre elles. Les “parrains” assistent à ce troisième stade sans la moindre possibilité d’intervention réelle ni d’ailleurs le moindre désir d’une intervention sérieuse ; en effet, ces “parrains” se trouvent eux-mêmes dans des situations de désordre indescriptible et l’on ne les voit plus guère s’impliquer dans les situations inextricables des marionnettes.
C’est le cas aujourd’hui pour l’Ukraine, où Merkel pourrait être amenée ou contrainte c’est selon à amorcer une courbe rentrante vis-à-vis de la Russie sous la force des pressions dans ce sens en Allemagne, et pourrait bien en arriver à soutenir la proposition Poutine pour le stationnement de Casques Bleus de l’ONU. Bien entendu, les USA sont contre cette proposition parce qu’ils ne songent qu’à venger leur défaite en Syrie par une pression accrue sur la Russie en Europe, ce qui fait penser à certains commentateurs que cette proposition habile de Poutine pourrait avoir comme pour effet, – et peut-être est-ce son but réel, – d’accentuer la différence jusqu’à un antagonisme sur cette affaire, et une sorte de séparation entre les USA et l’Europe.
…Ce qui nous ramène éventuellement à l’ineffable Saakachvili, à son retour en Ukraine et ses liens affichés avec Timochenko. Car les marionnettes parvenues au troisième stade, opérant désormais les unes contre les autres sans beaucoup de contrôle des tuteurs, peuvent prendre avantage des divisions et du désordre qui se sont parallèlement installés chez ces mêmes tuteurs. Ainsi pourrait-on examiner l’hypothèse que le retour de Saakachvili en Ukraine, s’il se confirme, pourrait se faire sur la base d’une alliance avec Timochenko contre la bande Porochenko, chacun des camps offrant ses services aux deux camps qui se dessinent entre USA et Europe pour ce qui concerne l’Ukraine. On n’ose aller jusqu’à dire qui sera dans le camp de qui sans d’ailleurs savoir si ces “camps” sont concevables, car il serait trop ironique et un peu trop surréaliste d’envisager l’hypothèse d’un Saakachvili, avec ses alliés vrais-Ukrainiens, proposant l’élimination de la bande Porochenko pour ouvrir la voie à un apaisement avec la Russie, – lui que Poutine et Medvedev ont affirmé ne plus jamais pouvoir envisager de seulement le rencontrer en raison de sa conduite insupportable, de sa corruption et de sa félonie de profession.
Certes, on doit concevoir aussitôt que cette sorte d’hypothèses peut et doit paraître farfelue. Pour cette raison, on ne le défendra pas au péril de notre plume mais il nous semble tout de même qu’un personnage de la trempe de Saakachvili et un pays de la nature de l’actuelle de l’Ukraine vont si bien ensemble pour nous présenter l’état du monde que cela vaut bien une hypothèse… Tout cela va effectivement si bien ensemble pour nous présenter une quasi-perfection de la production du Système lorsque toutes ses forces surpuissantes de corruption, de mensonge, d’illégalité, de déterminisme-narrativiste sont utilisées sans aucun frein. Bref, Saakachvili-SDF plus l’Ukraine, comme formule ultime de la postmodernité, comme vérité-de-situation enfin révélée…
DDE