La sortie des USA du « JCPOA » (traité nucléaire avec l’Iran) est un événement attendu et également un grand événement formidablement déstabilisant ; comme tout “grand événement attendu”, ses effets prévisibles sont peu de choses à côté des vérités-de-situation qui vont se développer à travers les effets de la décision du président Trump.
La première chose à noter puisqu’il s’agit de Trump, est qu’il ne s’agit peut-être pas du Trump “normal”, c’est-à-dire l’hypomaniaque narcissique qui change d’avis et d’orientation comme on zappe pour trouver une émission de télé-réalité propre à votre désir de haute culture. S’il n’y a qu’une seule idée bien ancrée dans l’esprit de Trump, c’est celle de l’antagonisme avec l’Iran (même si cet antagonisme permet au passage de conchier Obama, il a pour Trump sa valeur propre). Cela s’est manifesté dès le départ, par exemple dans le choix de conseiller militaire du général Flynn (liquidé depuis par le Russiagate), excellent critique de la politique – Système US mais acharné adversaire l’Iran, et qui s’allia au neocon Michael Ledeen pour publier, le 21 juillet 2016, en pleine campagne électorale et marche triomphale de son patron, “The Field of Fight: How We Can Win the Global War Against Radical Islam and Its Allies”, une exhortation sans nuance à une attaque et une liquidation de l’Iran
Cette attitude trumpiste fut pourtant très largement occultée pendant la campagne électorale derrière son attitude d’American Firster assurant son intention de mettre fin aux engagements extérieurs, aux dépenses occasionnées par ces engagements, etc. Bien entendu, cette politique générale de Trump, dont on ne saura jamais s’il voulut vraiment l’appliquer et qui fut dans tous les cas bloquée par l’inertie bureaucratique et les divers complots type-DeepState à “D.C.-la-folle”, se trouvait mise en contradiction complète dans le projet d’hostilités contre l’Iran, – car il s’agit bien d’hostilités dont on parle, avec la guerre en perspective.
Ses partisans les plus avérés l’ont notée depuis longtemps, certes contradiction, comme Patrick Buchanan le 2 février 2017 :
« Dans le second article, du 2 février, il [Buchanan] analyse les prises de position, de la veille et du jour même, de l’administration Trump vis-à-vis de l’Iran, et indirectement vis-à-vis de la guerre au Yemen. Manifestement, pour Buchanan, il s’agit dans ce cas, et complètement à l’inverse du précédent, d’une véritable catastrophe, qui met Trump en contradiction complète avec les grandes lignes de sa politique extérieure, dans tous les cas telles qu’elles avaient été affirmées durant la campagne. Avec ces prises de position, Trump se place devant la possibilité d’un conflit avec l’Iran, qui serait encore plus absurde, bien plus dévastateur, au moins tout autant injustifié et sans le moindre intérêt pour les USA, que la guerre contre l’Irak de 2003, qu’il [Trump]n’a cessé de dénoncer comme une erreur criminelle et une faute politique aux conséquences catastrophiques. Dans ce deuxième cas, Trump se trouve complètement en ligne avec le Système, selon le pire qu’on puisse imaginer de la politique-Système. »
En effet, c’est de ce point de vue de la guerre possible sinon probable qu’implique la décision de Trump qu’il faut se placer d’abord, nous semble-t-il, parce que c’est la dynamique qui est en cours aujourd’hui, notamment sous la poussée d’Israël. Les USA poursuivent l’Iran de leur vindicte depuis 1979 et dès 1980 il envisageait un conflit sur le territoire iranien, avec usage du nucléaire tactique, contre l’URSS dont ils envisageaient également qu’elle entrerait en Iran pour faciliter la prise du pouvoir par le parti communiste Toudeh. Depuis, ils n’ont cessé de manœuvrer pour “conflictualiser” leurs relations avec l’Iran. Pour les neocons les plus conséquent, dont Ledeen, co-auteur du livre de Flynn, l’Irak-2003 et son triomphe exceptionnel (c’était leur jugement à l’époque !) n’était qu’une étape vers une invasion de l’Iran.
Il ne fait aucun doute que l’Iran représente pour les USA l’objet fondamental de “la fascination pour la guerre” depuis quarante ans (alors que l’hostilité antirussiste représente “la fascination pour l’hégémonie” passant par l’élimination de tout concurrent qui pourrait prétendre à un excepttionnalisme qui est réservé aux USA). L’Iran n’est pas un concurrent des USA, il est un chiffon rouge agité devant le buffle furieux que sont les USA, ou disons le président Trump ; il est l’obsession majeure du faisant fonction d’hypomaniaque narcissique… L’équipe que Trump a rassemblée autour de lui, – Pompeo et Bolton surtout, – est absolument, religieusement acquise non seulement à l’hostilité envers l’Iran, mais à la doctrine de régime change portée à son accomplissement par la guerre.
Il ne faut pas non plus dissimuler ce qui est l’autre aspect de notre thèse, à savoir que cette obsession de la guerre contre l’Iran, par les énormes implications qu’elle porte, constitue également pour les USA un risque suicidaire compte tenu de la fragilité de leur situation interne et de la vulnérabilité de leurs forces militaires en pleine décadence. Cette situation, nous l’évoquions dès 2010, alors que la situation était infiniment meilleure pour Washington, et nous la rappelons régulièrement :
« “La perspective apparaît alors, du point de vue de la communication, extrêmement importante et sérieuse, et elle rejoint une possibilité qu’avait évoquée un néo-sécessionniste du Vermont, Thomas Naylor, en 2010, à propos de la crise iranienne : ‘Il y a trois ou quatre scénarios possibles de l’effondrement de l’empire [les USA]. Une possibilité est une guerre avec l’Iran…’” Après tout, certes, ce serait une bonne manière de régler la “guerre civile” qui fait rage à Washington D.C… »
Il est bien entendu que la décision de Trump précipite tous les acteurs (Iran, les pays de l’UE, Russie, Chine) dans des situations labyrinthiques où toutes les options présentent de graves inconvénients. En ce sens, Trump, même dans ces circonstances catastrophiques, joue plus que jamais le rôle de Grand Perturbateur. On verra les conséquences de cette intervention, les jours prochains, les semaines prochaines, tandis que, plus que jamais, la Syrie (et aussi le Liban) restent le théâtre de prédilection d’une soudaine diffusion d’un feu guerrier catastrophique.
Pour illustrer cette approche, nous nous permettons de citer un texte de Bill Van Auken, de WSWS.org, du 3 mai 2018, fortement orienté vers la possibilité d’un conflit avec l’Iran.