On se concentre ici sur plusieurs évènements qui ont à la fois un poids politique, un poids symbolique et une force de communication considérable où le ridicule de l’excès tient bien sa place. Une remarque inévitable est que, face aux pressions énormes et aux attaques considérables dont elle est l’objet, l’UE en tant qu’institution apparaît à la fois impotente, impuissante et paralysée. Sa puissance énorme est celle d’une bureaucratie, c’est-à-dire une Bête monstrueuse qui agit du fait de son poids, mais sans la moindre capacité d’une pensée stratégique ou de tout autre ordre qui lui ferait élaborer une capacité tactique dans la guerre politique et de communication où elle se trouve emportée.
Quelques événements…
• La situation quasi-tragique du gouvernement Merkel, c’est-à-dire de Merkel elle-même. Elle est l’objet d’attaques furieuses de son aile droite (la CSU bavaroise dans l’association CDU-CSU) qui est aujourd’hui, sur la question centrale de l’immigration, beaucoup plus proche de l’AfD d’extrême-droite que de la CDU. Le ministre de l’Intérieur et leader de la CSU Horst Seehofer se trouve en conflit direct avec Merkel : son plan pour fermer les frontières aux migrants étant passés par d’autres pays de l’UE a été bloqué dimanche par un veto de Merkel, mais le ministre de l’Intérieur maintient la validité de sa position et ne retire pas son plan.
« Plus précisément, Merkel fait face à une rébellion de son ministre de l’Intérieur, Horst Seehofer, qui exige que la police des frontières allemande ait le droit de renvoyer les migrants sans papiers d’identité ou qui sont déjà enregistrés ailleurs dans l’Union européenne. […] Mme Merkel, la plus ancienne dirigeante de l’UE, a qualifié mercredi l’immigration de “test décisif pour l’avenir de l’Europe”, mais la question s’est rapidement transformée en un test de la mainmise de Merkel sur le pouvoir dans son pays.
» Le quotidien Bild [observe] que “si aucun accord n’est trouvé, Angela Merkel doit faire face à un vote de confiance et chaque législateur devra décider […de] continuer avec Merkel ou faire face à une aventure appelée nouvelles élections”. L’Augsburger Allgemeine a rapporté jeudi que la CSU de Seehofer considère la possibilité de rompre son alliance avec la CDU de Merkel au Bundestag. En d’autres termes, une rébellion pure et simple au sein du gouvernement, mettant fin à la coalition au pouvoir. L’AA a cité une personnalité anonyme de la CSU qui a déclaré: “Nous ne sommes pas loin d’une scission. Nous formerions alors notre propre formation au Bundestag.” »
• A Berlin, Merkel a rencontré le jeune chancelier autrichien Sebastian Kurz, président de Conseil européen des États-membres à partir du 1erjuillet, à Berlin mercredi. Merkel s’est dit d’accord avec la politique d’immigration “dure” de Kurz, du bout des lèvres mais ne pouvant se permettre de désaccord. Puis Kurz a rencontré, d’une façon très inhabituelle sauf si l’on considère le contexte, le ministre de l’Intérieur Horst Seehofer, – ou bien s’agissait-il du président du futur groupe indépendant CSU considérant une alliance avec l’AfD qu’il rencontrait ? Rencontre beaucoup plus chaleureuse.
• Le chancelier autrichien a estimé qu’il existait désormais une importante “coalition des volontés” en Europe, citant des pays comme l’Italie, la Hongrie, le sien bien entendu… Et l’Allemagne ? ZeroHedge.com, qui rapporte ces péripéties, précise, parlant des trois ministres dont l’opinion au moins sur l’immigration est de type populiste, ou droite extrême, ou pire selon qui en juge : « Il existe un axe des trois ministres de l’intérieur à Rome, Vienne et Berlin »…
C’est dire si nous allons en entendre, comme référence aux années 1930, dans les esprits avancés vivant au rythme de leur temps (XXIème siècle, les années 2010). Pour nous, le plus important est ceci, qui est l’apparition d’une nouvelle forme de structure transnationale suscitée par la crise des migrations ; pour résumer notre idée par une formule un peu loufoque : “Allons-nous vers un Parti Européen des Ministres de l’Intérieur ?”
• Face à toutes ces agitations dont le fondement, – quoiqu’en veuillent les idéologues, – est l’affrontement du temps-souverainiste contre le globalisme-transnational du type UE, la susdite-UE se défend assez mal ; on peut même dire qu’elle est le plus souvent acculée à l’hystérie et à la cuistrerie, y compris dans l’habituel et monocorde basse continue du complotisme poutinien. L’un des plus hystériques à cet égard est l’ancien Premier ministre belge Verhofstadt. Son discours, le 13 juin devant le Parlement européen, mélangeait les “pom-pom girls” de Poutine, la “5ème colonne”, “le cercle du mal autour du continent”, Le Pen, Farage, Orban, Wilders, Salvini, Kaczynski, Erdogan, Trump “dans ses mauvais jours”… Ah oui, on oublie Poutine, valable pour toutes les saisons.
« Ainsi, selon Guy Verhofstadt, le souverainiste britannique Nigel Farage (UK Independance Party-UKIP), la française Marine Le Pen (Rassemblement national-RN), le Premier ministre hongrois Viktor Orban (Fidesz-Union civique hongroise) et le néerlandais Geert Wilders (Parti pour la liberté-PVV) ne représenteraient ni plus ni moins que “la cinquième colonne de l’Europe”. Ces responsables n’agiraient en effet pas de leur propre chef pour détruire le rêve européen si cher au député belge, mais ils réaliseraient en fait cette basse besogne avec le soutien actif du Kremlin, dont ils prendraient “l’argent et les renseignements”. Une accusation réitérée et complétée sur Twitter par le coordinateur du Brexit auprès du Parlement européen, puisqu’il a inclus à sa liste, dans un message publié sur le réseau social, deux autres agents supposés du Kremlin : l’italien Matteo Salvini (La Ligue) et même le polonais Jaroslaw Kaczynski (Parti droit et justice-PiS), qui ne brille pourtant pas par ses prises de positions prorusses. Qu’importe, les voilà tous affublés du qualificatif de “pom-pom girls de Vladimir Poutine”, avec en prime une accusation contre Aaron Banks, l’ami de Nigel Farage, qui se voit soupçonné de “collusion avec la Russie” pour empêcher de “mener à bien le Brexit”. […]
» S’il demeure convaincu de subir une offensive de l’intérieur fomentée par la Russie, Guy Verhofstadt voit l’avenir de l’UE de manière d’autant plus sombre que le bloc fait face à des menaces au-delà de ses frontières. Il existe d’après lui un “cercle du mal autour du continent”, qui comprend bien entendu le président russe Vladimir Poutine, mais aussi son homologue turc Recep Erdogan. Il ajoute à cette liste le président des États-Unis, Donald Trump, “dans ses mauvais jours”. “Et c’est tous les jours en ce moment”, ajoute-t-il. »
L’humeur pathétiquement hystérique ou hystériquement pathétique de Verhofstadt est très significative de la position de l’UE aujourd’hui. L’Europe constitutionnelle est coincée entre toutes les dynamiques qu’elle prétendrait idéalement dominer, et qui aujourd’hui travaillent toutes contre elles. Il s’agit d’une situation d’inversion comme aime à en susciter le Système, mais complètement vertueuse, c’est-à-dire retournée contre le Système et complètement antiSystème.
• Il y a la dynamique interne du bloc : l’union de ses membres est en principe un gage de renforcement de sa puissance à tous égards. Cette dynamique est aujourd’hui très majoritairement centrifuge, donc complètement invertie par rapport au rythme initial. Partout, la poussée populiste s’avère irrésistible et les partis traditionnels eux-mêmes s’en rapprochent (voir les SPD et les Verts également, en Allemagne), et la poussée populiste, quoi que serinent sans discontinuer les grands penseurs-Système du type convenable et habitué destalk-shows, est pour l’instant la seule dynamique du principe de la souveraineté des nations. Nous en sommes au point où le populisme constitue une paradoxale internationale de la souveraineté nationale au sein de l’Europe. Seules l’UE et ses multiples erreurs étaient capables de provoquer une telle réunion de forces centrifuges.
• Il y a la dynamique externe du bloc, sa “politique étrangère” si l’on veut, qui était censée s’affirmer comme une des principales forces dans le monde, et une force régulatrice par sa sagesse morale et son avancement progressiste, dont chacun rechercherait l’alliance, qui équilibrerait l’alliance américaine, qui “civiliserait” la Russie et éventuellement la Chine en faisant triompher son globalisme ultralibéral. Là aussi, la situation est contraire dans tous les domaines envisagés, jusqu’à la perfection. L’UE s’est mise dans une posture agressive vis-à-vis de la Russie, sans autre raison qu’une vague idéologie bureaucratique et de pure communication, au moment où la Russie ne cesse de renforcer ses positions et de rallier autour d’elle nombre de forces, autour de l’axe de plus en plus solide qu’elle forme avec la Chine. Les rapports de l’UE avec les USA sont catastrophiques au point que Trump estime que le G7 n’a aucune raison d’être s’il ne redevient pas rapidement G8 avec le retour de la Russie (qui n’est pas pressée de le réintégrer). Une des hypothèses évoquées lors de l’arrivée de Trump au pouvoir, une guerre contre l’UE jusqu’à sa destruction, serait bien en train de se vérifier, même si pour d’autres causes que celles évoquées alors…
« La première rencontre internationale de Trump [avec Theresa May] n’était pas un salut et une résurgence des “special relationships”, comme les Britanniques se sont sans doute un peu trop plus à l’imaginer et comme Theresa May a tenté de la présenter, mais une façon symbolique de saluer le Brexit comme un des outils essentiels de la stratégie trumpiste. Ce fut aussi une façon, également symbolique mais à notre avis extrêmement significative, de déclarer la guerre à l’UE et d’afficher cette intention de tout faire pour parvenir à la destruction de cette infrastructure supranationale, – parce que Trump est un ennemi acharné de cette sorte de structures, comme il l’est de la globalisation dont elles sont les garantes.»
L’UE fait face à une situation de désordre indescriptible, où les autorités institutionnelles ne cessent de perdre le contrôle de la situation. La nouvelle, – pourtant intéressante à plus d’un égard, – selon laquelle le Parlement italien ne ratifiera pas l’accord de libre-échange CETA de l’UE avec le Canada, est passée à peu près inaperçue dans cette atmosphère de complet désordre. Le détricotage de l’UE, de la globalisation, du système ultralibéral, accélère et atteint un rythme vertigineux. L’ère de la collapsologie est désormais très largement activée.
DDE