Brian Williams, de MSNBC, le réseau le plus “à gauche” (progressiste-sociétal) des réseaux TV institutionnalisés aux USA, est l’homme qui nous avait confié dans un soupir orgasmique avoir été saisi par la beauté d’un tir de missile de croisière (en avril, contre la Syrie) : « [I was] tempted to quote the great Leonard Cohen: ‘I’m guided by the beauty of our weapons.’” (Remarquez que le formidable Leonard Cohen est tout de même classé à gauche, ceci compensant cela, ou le renforçant c’est selon.) Bref, Williams signifiait que la gauche progressiste-sociétale US ne recule devant aucune éjaculation poétique lorsqu’il est question de la quincaillerie du Pentagone, et cela pour saluer les glorieux ancêtres des années 1960 qui brûlaient leurs livrets militaires et assiégeaient le Pentagone. “The Times they are a drôlement changing”, comme chantait un autre “formidable… tout de même classé à gauche”.
… Tout cela, qui nous amène à la dernière sortie de Brian Williams, dans la soirée du 8 août 2017, alors qu’il débattait avec trois invités, au cours de son émission The Eleventh Hour, de l’impérieuse nécessité de s’attendre au pire avec la Corée du Nord, c’est-à-dire à la nécessité vertueuse de devoir taper, et taper durement sinon nucléaire. A cet instant, il précisa : « Notre mission ce soir est en fait de paniquer les gens à mort à propos de la Corée du Nord » (“‘our job tonight actually is scare people to death’ about North Korea”) ; il semble que personne parmi ceux qui débattaient ce soir-là ne releva ce propos tout de même un peu intrigant… ZeroHedge.com rapporte donc la chose, que l’on peut voir sur un segment YouTube (autour de la deuxième minute).
« On Tuesday night MSNBC’s Brian Williams bluntly told his panel on the channel’s flagship prime time program, The 11th Hour, that “our job tonight actually is scare people to death” over North Korea. The remarks came in the midst of a vigorous discussion which included Andrea Mitchell giving a detailed description of what the potential death toll on the Korean peninsula might be should a ballistic missile exchange occur. The panel also included MSNBC contributor Malcolm Nance, to which Williams’ remarks were specifically directed.
In response to Williams’ unexpected and very revealing comment, Mitchell appeared to shake her head, though it’s unclear if she was approving or disapproving of what he actually said – there was no push back by the panelists or attempt to seek clarification on Williams’ words… »
La course médiatique se poursuit donc, avec ses interminables palinodies et ses mises en scène, – où il s’avère paraît-il qu’un vérité-de-situation de très grand poids sinon de poids catastrophique pourrait parfois se glisser. C’est le sens d’un long article d’Alexander Mercouris, ce 10 août 2017, annonçant après avoir à de nombreuses reprises, lors des différents “pics de crise” précédents, repoussé les hypothèses de la dangerosité de la Corée du Nord, qu’il change complètement d’avis après les révélations faites sur un rapport de la Defense Intelligence Agency (le renseignement militaire, ou la CIA du Pentagone si l’on veut). La DIA a une meilleure réputation que la CIA pour ce qui est de l’absence de politisation de son activité, ce qui devrait la conduire logiquement à se maintenir dans des comportements plus neutres, et par conséquent plus proches des vérités opérationnelles des situations. Un long article dans le Washington Post du 9 août 2017 détaille les conclusions d’une évaluation de la DIA en date du 28 juillet selon laquelle la Corée du Nord disposerait désormais, au stade proche d’être opérationnels, de missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) et de charges nucléaires suffisamment miniaturisées pour être portées par ces ICBM.
L’intérêt du texte de Mercouris est qu’il vient d’un commentateur qu’on peut généralement classer comme antiSystème, extrêmement critique du comportement de la presse US, etc., et extrêmement sceptique jusqu’ici de tout ce qui avait été annoncé dans le sens de la dangerosité de la Corée du Nord. Mercouris ne manque d’ailleurs pas de rappeler ses précédents articles (notamment celui du 31 juillet) pour observer qu’on peut effectivement changer brusquement de point de vue quand apparaissent certaines évaluations :
« In the short time since those words were written it has become clear that North Korea’s capabilities have been grossly underestimated. There are now reports that the Defense Intelligence Agency – the US intelligence agency once headed by General Flynn – has reported to the US National Security Council that North Korea has successfully miniaturised a nuclear warhead and developed a re-entry vehicle for its Hwasong-14 missile. Supposedly North Korea also now has a stockpile of up to 60 nuclear bombs – far more than previously thought.
If this information is correct then the North Korean ballistic missile and nuclear weapons programme has advanced much faster and much further than anyone – including the Chinese and the Russians – anticipated, further confirming my longstanding point that the perennial claim that the country is a backward economic basket-case simply cannot be true.. »
Là-dessus, Mercouris développe les extraordinaires capacités d’ignorance de la situation en Corée du Nord qu’ont les pays du bloc-BAO, et notamment les USA. Il met en cause cette ignorance, conduisant à une formidable sous-évaluation des capacités nucléaires et technologiques de la Corée du Nord, ignorance notamment explicable par l’arrogance et la corruption des processus de communication et d’information US. Sa conclusion est catastrophique…
« The latest report from the US Defense Intelligence Agency, even if it exaggerates North Korean capabilities, highlights the disastrous consequences of this ignorance, and of the bad and arrogant decisions it has led to.
It turns out that North Korea may now have an intercontinental ballistic missile and nuclear weapons capability bringing even Washington DC within reach that even the Chinese and the Russians thought thought it would not acquire before 2040. A North Korean nuclear challenge that no-one outside Pyongyang imagined the US would face for another 20 years is already upon us.
At its most basic level, this is a catastrophic failure of intelligence, showing how completely wrong about North Korea at least in this respect the US and most of the rest of the outside world has been. How do we know if instead of talks there is now an arms race that there won’t be other, possibly still more catastrophic, intelligence failures further down the line? »
Il semble donc que ce soit essentiellement le fait que cette évaluation vienne de la DIA, en notant que c’était le service que le Général Flynn dirigeait jusqu’en 2014, qui conduise Mercouris à prendre la chose très au sérieux. Tout le monde ne prend pas nécessairement à la lettre les affirmations publiées par le WaPo et venant soi-disant de la DIA, ce qui se comprend dans le climat général d’affrontement de communication qui règne aujourd’hui. (Voir par exemple Jason Ditz dans Antiwar.com le 9 août 2017.) Du côté des pays hors bloc-BAO, et notamment du côté de la Russie, on n’observe aucune fièvre inhabituelle sinon celle qui est courante dans ces périodes de paroxysmes de crise. Un texte de RT du 10 août 2017 rend compte des nouvelles venues des USA dans le style habituel de cette sorte d’événements notamment en donnant le pour et le contre par rapport aux évaluations qui sont débattues.
Cela nous conduit à une curieuse position. En temps normal, la situation serait l’équivalent, en pire de la crise des fusées de Cuba d’octobre1962, comme l’écrit WSWS.org le 10 août 2017 (« Le monde n’a jamais été aussi proche d’une guerre nucléaire depuis la Crise des missiles de Cuba en 1962. Un incident ou un accident, mineur ou majeur, pourrait déclencher un conflit qui entraînerait rapidement d’autres puissances nucléaires, dont la Chine et la Russie, avec des conséquences incalculables... »). Le problème est que, sur cette crise de Corée du Nord, c’est au moins la troisième ou la quatrième fois que WSWS.org (et d’autres) nous avertissent que “nous n’avons jamais été aussi proches” d’une crise équivalente à celle des fusées de Cube d’octobre 1962. Cela nous laisse dans l’incertitude d’une époque où la communication est la force la plus puissante pour agir sur la politique, mais aussi la plus manipulable, la plus insaisissable, la plus incontrôlable. Ainsi sommes-nous conduit à “attendre et voir”, en nous abstenant pour l’instant de conclusions sinon ce constat permanent de nous exclamer qu’en d’autres temps une telle alerte eut tenu le monde bouleversé, haletant et aux abois, – et qu’aujourd’hui il n’en est rien, absolument rien…
DDE