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Itinéraire d’une « Crazy News » (au lieu de « Fake News » ) syrienne

On connaît l’habituel décompte des manifestations syndicales : entre les organisateurs et la police ; ou bien les bilans des historiens qui se contestent et se déchirent selon des motifs idéologiques (25 000 morts dans le bombardement de Dresde du 14 février 1945 selon la doxa conformiste officielle des vainqueurs, plus de 100 000 selon les historiens révisionnistes-et-diaboliques) ; et ainsi de suite… Mais parvenir, sur une nouvelle précise qui a été suivie et observée “à ciel ouvert”, au jour le jour sinon heure après heure, à des opposition du bilan d’une opération de bombardements variant de 10 morts à 600 morts, dans un désordre qui oppose même des sites de la presse « anti-Système« , selon un parcours de “sources” très inattendu, sans que les autorités intéressés n’exploitent les bilans qui devraient les “satisfaire” – voilà qui est assez inédit dans le sens de la quantité et de la confusion pour que nous proposerions qu’en lieu et place de « Fake News » l’on parlât de « Crazy New »s… Certes, nous avions les « Fake News », qui ont changé de fond en comble la culture de notre civilisation depuis quelques mois ; désormais, nous avons les « Crazy News », qui devrait “changer de fond en comble la culture de notre civilisation pour quelques mois” … La marche du progrès, qu’on n’arrête pas c’est bien connu, est d’une ardeur étourdissante.

Il s’agit de l’attaque du 7 février 2018, conduite dans les airs par les “forces de la coalition” (disons l’USAF et n’en parlons plus) contre des forces pro-gouvernementales syriennes dans la province de Deir Ezzor, autour des sites gazier et pétrolier. D’une part, les variations des bilans sont extraordinaires, d’autre part, la version qui propose les bilans les plus élevés affirme également qu’il s’agit de “mercenaires russes” (des PMC, pour “Private Military Contractor”) recrutés par la firme Wagner Group, pendant russe du Blackwater américaniste rebaptisé Akademi. Ces détails nous font comprendre que la nouvelle a une très forte marque politique, en ceci qu’elle tend à opposer directement forces US et “combattants” russes. D’une façon générale, les officiels US se sont pour cette fois montrés extrêmement discrets, précisant d’ailleurs dès le premier jour, lorsqu’ils annoncèrent l’attaque, que la partie russe avait été avertie de cette attaque avant qu’elle ait lieu… Et elle n’aurait pas pris la peine, la partie russe, d’avertir les citoyens russes qui se trouvaient sur place ? Cette question vaut d’être posée en toute ingénuité.

La version à très fort bilan a été suivie par nombre de sites alternatifs, qu’on peut classer dans les « anti-Système » par simple logique des positionnements et des engagements. Ainsi en est-il du très sérieux WSWS.org, toujours attentif à dénoncer les turpitudes américanistes selon une rigueur toute trotskiste. Le 14 février 2018, il reprend la version du massacre des PMC russes avec les sources variées qui ont fait diffuser cette version, essentiellement des sources russes. La seule remarque qu’on peut avancer en fait d’observation hypothétique est que cette version rencontre l’analyse générale du site trotskiste sur la probabilité d’une confrontation entre les USA et la Russie, essentiellement à cause des activités illégales des forces armées US illégalement installées dans le pays.

Nous allons publier une adaptation français d’un texte de SouthFront.org du 14 février 2018 sur cette affaire, précisément au niveau de l’information et de la communication : « U.S. Strikes and ‘Scores’ of KilledRussian Fightersin Syria ». Nous choisissons ce texte parce qu’il et très complet et présente les deux versions ; il ne fait pas mystère de son choix après analyse, qui est celui de la version présentant des pertes légères, et il justifie ce choix notamment par la qualité et la précision des sources. SouthFront.org avec ses réseaux en Syrie est réputé pour être lui-même une excellente source générale, notamment par le colonel Pat Lang (site Sic Semper Tyrannis), ancien officier de la DIA, qui abhorre la bureaucratie et la politique washingtoniennes mais ne se classe pas pour autant « anti-Système » ; Lang suit de très près le conflit syrien, d’un point de vue opérationnel et militaire, et se réfère constamment à SouthFront.org.

Le même texte ci-dessous est notamment repris sans aucune réserve par les sites du Saker-US et Veterans-Today, ce qui implique leur acceptation de la thèse présentée. Il va de soi que SouthFront.org suit clairement un choix politique (anti-US, anti-Système par conséquent, pro-Assad, etc.) mais ce choix ne l’empêche pas de rester indépendant dans sa démarche t son travail.

« Les médias traditionnels et les médias sociaux regorgent de rapports selon lesquels, le 7 février, des centaines de soldats contractants-privés russes (PMC, pour “Private Military Contractor”) sont morts dans des frappes aériennes de la coalition dirigée par les États-Unis contre des forces pro-gouvernementales dans la province de Deir Ezzor. Diverses sources fournissent des nombres différents, mais l’une des versions les plus populaires est qu’entre 100 et 600 PMC ont été tués.»

 Que s’est-il vraiment passé ?

 Le 8 février, la coalition dirigée par les Etats-Unis a publié une déclaration disant que le 7 février elle avait frappé des “forces pro-régime” attaquant le “quartier général des forces démocratiques syriennes” dans la vallée de l’Euphrate. Selon des sources locales, les frappes américaines ont touché les positions des forces pro-gouvernementales près du village de Khasham. L’usine de gaz CONICO et le champ pétrolifère de Jafar, situé à proximité, auraient été la cible de l’attaque présumée.

 L’armée américaine a qualifié ses actions de “défensives”. Le secrétaire à la Défense, Jim Mattis, a même prétendu que l’incident ne signifie pas que Washington “s’engage dans la guerre civile syrienne”. Le Pentagone a également déclaré avoir informé les Russes via le canal de l’accord de “de-conflictuation” avant l’attaque et qu’aucun membre du personnel russe n’était présent.

 Selon le ministère russe de la Défense, la coalition dirigée par les États-Unis a frappé une milice locale menant une opération militaire contre des cellules de l’EI dans la zone d’Isba. 25 miliciens ont été tués dans l’incident. Par ailleurs, la tribu arabe pro-gouvernementale al-Bakara a annoncé dans un communiqué que des douzaines de ses fils avaient été tués dans les frappes américaines sans fournir de chiffre précis.

 Plus tard, le 11 février, des soldats syriens du 5ème Corps d’Assaut de l’Armée Arabe Syrienne, dit “chasseurs de Daesh”, ont déclaré que le 7 février ils avaient repoussé une attaque conjointe de de l’EI et du SDF sur Khasham et que cela avait provoqué l’attaque américaine. L’unité a ajouté qu’ils avaient perdu 20 combattants dans les frappes. Les “chasseurs de Daesh” sont connus pour leurs liens avec les PMC russes.

 Mais il y a une autre version de l’incident.

 Le 7 février et le 8 février, les principaux médias anglophones, comme Politico, Reuters, CNN, diffusaient des informations selon lesquelles plus de 100 combattants pro-Assad avaient été tués dans les frappes américaines. Tous les rapports étaient basés sur des sources anonymes et étaient mélangés à des déclarations du Pentagone et du secrétaire à la Défense pour paraître plus fiables. Selon ces rapports, un groupe de 300 à 500 combattants du gouvernement, soutenus par des chars de combat et de l’artillerie, ont été impliqués dans l’attaque présumée du SDF.

 Le 8 février, des personnalités au crédit contestable et des sites de la médiasphère russes ont commencé à diffuser des informations selon lesquelles les PCM russes avaient subi de lourdes pertes lors de l’incident du 7 février. Les rapports contradictoires, également basés sur des sources anonymes, comprenaient des estimations telles que “deux camions de cadavres”, 10-20 tués, 100, 200, 300, 600.

 Le 10 février, la chaîne de télégrammes russe WarGonzo a publié 5 enregistrements audio d’une conversation présumée entre 3 PMC. Une des voix cite le nombre de 177 tués. Ces enregistrements audio avaient également été reçus par un certain nombre de journalistes russes depuis le 7 février et étaient probablement une contrefaçon.

 Au 14 février, les divers rapports et analyses parviennent à un bilan général variant de 10 morts à 600 morts !

 Pendant ce temps, l’analyse des informations ouvertes, y compris les rapports des parents et des amis des PMC impliqués dans l’opération, a permis à toutes les parties concernées de découvrir que 5 Russes seraient morts dans la période susmentionnée. Cependant, aucun détail n’est disponible.

 Des journalistes indépendants ont également noté qu’aucun avion, qui aurait pu être impliqué dans le transfert des PMC tués et blessés, n’avait été repéré à la base aérienne de Khmeimim depuis le 7 février. Les correspondants de SouthFront et les sources à Damas et Deir Ezzor ne pouvaient pas non plus confirmer des centaines de PMC tués.

 Les experts militaires de SouthFront, conscients de la situation, estiment pour leur part que le nombre possible de victimes pourrait être supérieur à 5, mais pas supérieur à 15-20. La version des pertes massives des PMC russes est basée sur des données non confirmées et fausses, qui incluent quelques faits réels comme les frappes américaines, certaines pertes de PMCs et la participation des “chasseurs de Daesh” dans l’incident. Le reste est une campagne orchestrée conforme aux meilleures traditions de la propagande.

 Les objectifs seraient les suivants :

 • les États-Unis sont capables de riposter contre les Russes en Syrie ;

 • la Russie n’est pas capable de défendre ses intérêts ;

 • le Kremlin ne montre aucun intérêt pour les citoyens russes tués et ne fait aucun effort d’aide ou de compensation. »

Nous parlons de « Crazy News » dans ce cas parce que les disparités factuelles sont considérables et que les différentes versions suivent des voies tortueuses, qui ne répondent pas à la logique des engagements classiques, que nous qualifions nous-mêmes de « pro-Système » et d’ »anti-Système« . Ce n’est donc plus l’opposition entre le simulacre généré par le Système (manipulation, inversion, accusations inverties de « Fake News« , …etc.) et la riposte « anti-Système« , mais une confusion multiple où les « anti-Système » tendent à se scinder vis-à-vis de certains thèmes tandis que la « communication-Système » peine à suivre et à comprendre la logique et la finalité de ces flots inhabituels.

Il est remarquable, dans ce cas qui est l’un des premiers du genre, que les sources initiales semblent plutôt russes d’une part, n’ayant pas nécessairement à voir avec l’opposition pro-occidentale, soutenue par le bloc-BAO, d’autre part. Cela nous conduit à la remarque que nous sommes en période électorale en Russie et qu’il apparaît qu’il existe une opposition « anti-Poutine » de droite, nationaliste, voire des candidats que certains jugent dangereux pour le président russe ; et cette opposition-là critiquant Poutine pour sa mollesse face au bloc-BAO et surtout aux USA en Syrie, à la manière d’un Paul Craig Roberts qui s’exprime dans la logique d’un courant désormais non négligeable dans l’anti-Système du bloc-BAO. Dans ce cas, la version de lourdes pertes de PMCs russes en Syrie, sans réaction notable du gouvernement sinon la dénonciation convenue de “désinformation”, vaut argument contre le candidat Poutine.

Ce qui est en jeu ici, c’est le statut sinon la stature de Poutine, disons son autorité auprès des courants anti-Système en général. Si une critique conséquente se développe, dans un monde dont on sait que la réalité est totalement désintégrée, on se dirige alors vers un temps d’hyper-confusion, de super-chaos dans le monde de la communication. En effet, nous aurions l’une des rares références solides, – Poutine et sa politique, – qui serait plus ou moins gravement mise en cause par certains de ceux qui s’opposent au Système et qui jusqu’ici s’y sont référés quasi-unanimement.

Observer cela, ce n’est de notre part nullement prendre partie à ce stade (pour ou contre Poutine, pour ou contre telle version dans l’affaire qui nous occupe ici) mais simplement prendre date de la possibilité d’une complication encore plus forte pour parvenir à identifier et à rendre compte des vérités-de-situation. Cela n’empêche nullement ces vérités-de-situation d’exister, comme tout dans la Vérité par évidence de l’essence, et donc d’apparaître avec encore plus de force lorsqu’elles sont identifiées. De toutes les façons, si cette hypothèse de division par rapport à la référence-Poutine rencontrait l’évolution des faits, cela ne ferait que confirmer une dynamique de plus en plus pressante de division à l’intérieur des anti-Système, et déjà expérimentée, par exemple par rapport à Trump, par rapport à l’évaluation de la puissance US, etc.

(Dans ce contexte général, il nous apparaît que l’élection présidentielle russe est plus que jamais d’une réelle importance, que Poutine soit réélu comme c’est très probable, qu’il ne le soit pas comme c’est toujours possible puisque tout est toujours possible… Il nous paraît très probable que, s’il est réélu, Poutine devra se convaincre qu’il doit “faire quelque chose”, par rapport à son érosion de l’image de dirigeant ferme et exigeant face aux USA qui fonde une part importante de sa légitimité et donc à terme de sa popularité.)

D’autre part, tout cela ne signifie nullement l’affaiblissement du courant antiSystème, parce que le Système, dans sa surpuissance aveugle qui refuse toute nuance et toute habileté dans l’action, est incapable de manœuvres, de compromis, etc., et donc de profiter des divisions chez l’adversaire. Le résultat net est tout simplement, et comme toujours, l’accroissement du désordre et du chaos ; en fin de compte, cela suscite encore plus de surpuissance de la part du Système et par conséquent exacerbe encore plus sa tendance à transmuter cette surpuissance à son zénith en autodestruction.

DDE

 

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