Frasques, voracité, prédation, succession… Rejetons conçus dans le dos de la République égalitaire, les enfants terribles de la nomenklatura sont les nouveaux seigneurs de cette«Algérie de papa», la version bâtarde de l’«Etat algérien restauré». Pour désigner les fils de généraux et hauts gradés de l’armée, des services de sécurité, ministres, pontes de la haute administration…, l’humour populaire est intarissable de génie créatif : ouled al qiada, meqla, qaloi, chouaker, ouled douk douk, qemqoum, les rejetons des pontes font valoir chaque jour leur droit de cuissage sur les ressources du pays. De Toufik Benjedid à Saïd Bouteflika, de Adel Gaïd à Sid Ali Mediene, de Abdelmoumen Khalifa à Farid Bedjaoui, de Rym et Farès Sellal à Amine Zerhouni, de Réda Habour à Khaled Tebboune, des fils de Meziane au fils Ould Kaddour, des fille et fils de Saadani au fils Ould Abbès, de Mehdi Remaoun à Lamine Ouyahia, de Amel Bouchouareb à Khaldoun et Sina Khelil…, des échantillons représentatifs de la caste de compradores et de fabricants d’hégémonie qui réécrit l’histoire d’un «seul héros, le pouvoir». Plongée dans les dessous putrides de la reproduction en marche de la classe des dirigeants.
Ils sont dans l’import-import (60 milliards de factures d’importation), dans l’immobilier (?), dans les «services» (12 milliards/an), dans la com’ et l’événementiel, les bureaux d’études, le consulting, les centres commerciaux et grandes surfaces, le catering, le contrôle et concessions automobiles, les franchises, les sociétés de gardiennage et de sécurité, 7 milliards de dollars que se partagent quelques sociétés appartenant à des généraux à la retraite et/ou en activité, comme celle d’un des fils de Gaïd Salah, Adel, et à des personnalités du gouvernement et de la haute administration, à l’image de Vigie Plus, société à 50 000 agents, apparentée au fils de l’ex-Premier ministre, Abdelmalek Sellal. Aucun créneau juteux, aucune opportunité d’affaires, aucun business florissant n’échappe à leur appétit vorace.
Shootés à l’argent public, addicts aux privilèges et rente de «l’Etat pompeur», les «fils de» ont un «couloir vert» dans les ports, les tapis rouges des salons d’honneur, occupent des postes (fictifs de préférence, mais rémunérés en devises) dans les grandes compagnies (Air Algérie, Sonatrach…), postés dans les grandes capitales mondiales. Ils sont dans la diplomatie, dans les agences et organismes internationaux. Ils ont des ports secs pour cocaïne pure (fils du général Hamel) et quincaillerie de luxe, des flottes (navires de la Cnan rachetés en partie par Réda Habour).
Ils sont dans le négoce des matières premières (Sina Khelil…), dans la distribution, souvent en situation de monopole (Mouloud Djebbar, fils du général M’henna Djebbar), «bien nés» et as du trafic d’influence, ils ont les clés des coffres-forts de l’Etat social, dépecés, en bandes organisées, lors des soirées banquet. D’affriolantes saisons algériennes pour une jet-set fâchée avec le Projet national et le principe d’égalité des chances.
La patrie pour les riches, le patriotisme pour les pauvres
Portrait d’un fils de… De l’élevage ovin dans les Hauts-Plateaux à la technologie de pointe, Lotfi Nezar est un entrepreneur aussi polyvalent que coriace. «Il est impitoyable en affaires», témoigne HKM*, un employé de SLC (Smart Link Communication), la «petite» boîte familiale devenue grande (plus de 150 employés), nichée au chemin Gadouche (Ben Aknoun) sur le domaine d’une ancienne coopérative militaire.
PDG de la société, Lotfi, l’aîné, y est actionnaire au même titre que sa fratrie et son généralisme paternel, aussi président de son conseil d’administration. Pionniers dans la technologie wimax (solution internet haut débit par ondes hertziennes), les fils du général affichaient un carnet de commandes plein.
Ses abonnés clients allant des ministères de la Défense, de la Santé, de l’Enseignement supérieur aux compagnies pétrolières (Becker, Schlumberger, Sonatrach…), les banques (BNP Paris Bas…), Alstom, Peugeot. «Une véritable machine à cash dont une partie des revenus générés est perçue en devise, en Espagne, notamment», décrit la gorge profonde.
Jeunesse dorée, jeunesse offshore
De SwissLeaks à Panama Papers, une orgie à coups de centaines de millions de dollars. Les listings des propriétaires algériens de comptes dans les banques suisses (HSBC) et de sociétés offshore au Panama renseignent sur la fraude à grande échelle et sur les pratiques des faunes au pouvoir. Le scandale planétaire des Panama Papers est aussi celui de cette caste d’Algériens dont les fortunes mal acquises transhument à travers les paradis fiscaux, lavées, blanchies, «réinvesties».
Des Îles Vierges britanniques au Panama, des îles Caïman à la République suisse, de la Barbade à Maurice, de Hong Kong à Dubaï, la toute nouvelle plaque tournante du blanchiment de l’argent algérien. Aux Emirats, une société offshore, c’est 30 000 dollars de capital avec droit de succession garanti pour les ayants droit en cas de décès du propriétaire.
Ne se distinguant ni par des «compétences reconnues» ni par un «savoir-faire particulier», les «fils de», observe le journaliste, excellent par contre dans la «fructification des carnets d’adresses» de leurs parents, dans la mise en relation d’affaires d’entreprises étrangères intéressées par le marché algérien. Ils sont dans «l’intermédiation internationale».